Anglaise et le duc (L')
France
Réal. : Eric Rohmer
2000

Avec : Lucy Russell, Jean-Claude Dreyfus

 

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Revue de presse

1.
S'il y a les pour et les contre Eric Rohmer, disons que ce film me fait plutôt pencher dans le second groupe. Malheureusement pour moi sans doute, je ne connaissais pour ainsi dire rien de ce cinéma très particulier et j'ai accepté de suivre deux amis dans cette aventure que j'ai trouvé franchement regrettable. Je ne m'attendais certes pas à ce genre de film qui vous tient en haleine, vous émeut, vous transporte de joie... mais je m'attendais au moins à découvrir quelques faits historiques, si ce n'est quelques anecdotes et améliorer ainsi ma culture gé. Quelle ne fut pas mon erreur. Je me suis prodigieusement ennuyée pendant plus de deux longues et interminables heures et je n'ai pas appris grand chose.

La diction qui se veut parfaite de Jean-Claude Dreyfus et Lucy Russell m'a exaspérée au plus haut point et j'avais le sentiment d'être prise pour une simple d'esprit incapable de comprendre rapidement des phrases bien tournées. Quand aux personnages, ils sont encore plus exaspérants. Le comportement et le parlé maniérés des aristocrates étaient-ils réellement ceux présentés dans ce film ? Ou Rohmer les a-t-il volontairement déformés ? Dans ce cas pourquoi ? J'ai incontestablement préféré les traits d'esprit de "Ridicule" ou autre "Beaumarchais l'Insolent"'. Les "effets spéciaux" ne sont guère crédibles (les décors de Paris sont présentés sur des toiles peintes et les personnages s'y superposent). L'idée est originale mais pourquoi, pour une fois, ne pas utiliser les nouvelles technologies (qu'on utilise quasi exclusivement pour le fantastique, l'horreur, ou la science fiction*) pour faire travailler ensemble techniciens de l'image et historiens !!! [ *NB, à noter toutefois l'effort louable mais restreinte et criticable pour présenter une Rome vivante dans "Gladiator" -- Appels aux internautes de ce site : faites moi découvrir des films à dimension historique utilisant des images de synthèse).

Ceci dit, je dois avouer, par honnêteté intellectuelle, que Rohmer donne un point de vue particulier sur une période spécifique de l'histoire française celle de la Terreur durant la révolution. Présenter la vision d'une aristocrate anglaise royaliste sur ces années dominées par la violence populaire est chose osée et pour le moins innovante. On réalise à quel point les cours d'histoire reçus au lycée peuvent être conventionnels. Mais un court métrage m'aurait suffi à comprendre ! Bref, vous l'aurez compris, je ne suis pas une adepte du style Rohmer mais je ne suis pas réfractaire, non plus, à tout autre opinion sur ce cinéma (une longue discussion avec une amie bretonne m'a d'ailleurs éclairée sur les intentions de Rohmer et je l'en remercie).

Morgane LD, vu en octobre 2001.

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2.
Je conçois que l'on soit rebuté par certains aspects de l'Anglaise et le Duc, mais il est un certain nombre de reproches que Rohmer ne mérite pas : la comparaison avec ridicule et Beaumarchais l'Insolent, entre autres, qui sont des films nous offrant une vision parfaitement figée et conventionnelle de la révolution française et de l'histoire. La vision de Rohmer, elle, est dynamique, et son but est de nous faire nous interroger sur la représentation de l'histoire. Certes, l'expérience est austère, et présente plus de plaisir intellectuel que purement émotionnel...Quoi que... Et j'en viens à la deuxième critique, celle des effets spéciaux. Là aussi, je trouve MLD est injuste : Rohmer utilise la technologie numérique pour plonger les personnages dans des toiles peintes, expérience que je trouve esthétiquement passionnante, et beaucoup plus innovante que la débauche d'effets spéciaux destinés beaucoup plus à nous en mettre plein la vue qu'à nous offrir une vraie perspective historique, originale. Car l'histoire n'est évidemment pas figée et ses reprédsentations évoluent. Rohmer contribue à cette évolution. Pour s'habituer à la diction des personnages, je conseille un stage intensif Rohmerien, car cette manie ne date pas d'hier : le réalisateur, ancien prof de français, est un amoureux de la langue et exige pour tous ses films une diction parfaite.
Le film est sans doute parfois dérangeant, parfois un peu ennuyeux (ce n'est pas Gladiator), mais stimule la réflexion sur l'histoire (la question de la représentation est constamment en filigrane dans les choix du réalisateur), à la différence de bon nombre des productions du genre.

Laurent G., vu dans le duché de Pau en 2001

 


3.
Rohmer, tout comme MLD le dit avec je trouve sobriété et justesse, propose avec ce film une œuvre originale par son point de vue- celui d'une aristocrate effarée et désorientée par les événements, non dénuée d'un certain courage physique - est indéniable. C'est ce point de vue- non pas l'idée d'un apport historique qui n'était pas le propos du cinéaste - qui m'a attiré dans la salle. Pour notre aristocrate anglaise, donc, les révolutionnaires se divisent en deux camps : d'un côté, une populace à la bêtise crasse et affligeante, violente, vulgaire, ce qui a sans aucun doute été le cas pour certains ; de l'autre, leurs chefs, empêtrés dans des querelles internes, préoccupés surtout de découvrir les nouvelles incartades au code de conduite du bon révolutionnaire, incartades qui vont jusqu'à l'absurdité. Tout cela n'est pas flatteur pour les idéaux mythiques qui bercent encore les français, mais soit. A cela s'ajoute sa relation avec le dit "Duc", personnage sincère dans ses sentiments mais non dénué de lâcheté, pris dans ses contradictions entre un mépris pour une royauté à l'agonie et le sentiment de ménagement d'un noblesse éclairée.
Le portrait psychologique de ces deux personnages aurait pu être intéressant. Pour autant, je ne m'y suis guère attaché. Oui, on peut louer une diction désuète et précieuse des acteurs, quand celle-ci éveille l'émotion, quand celle-ci est passionnée. Mais j'ai vu un Jean-Claude Dreyfuss - physiquement de plus en plus proche des gorets dont il est un fervent collectionneur - et une Lucy Russel déclamant mécaniquement et avec application leurs répliques, comme au théâtre du XVIIIème siècle où les acteurs avaient ce type de narration. MLD est peut-être injuste vis-à-vis de Rohmer (et moi donc ?) mais LG l'est tout autant vis à vis de Beaumarchais l'insolent et surtout de Ridicule, qui au demeurant ne traitent aucunement de la Révolution française ! De ses prémisses, à la limite, à travers la décadence et le déclin de la royauté. Quels jeux de mots brillants dans ces films ! Les jeux d'acteur de Luchini (extraordinaire actuellement dans sa narration des fables de La Fontaine) et surtout de Charles Berling sont-ils comparables au jeu maniéré des acteurs de Rohmer ? Une belle langue mérite plus de fougue !
Quant aux " effets spéciaux " (plutôt des trucages dans le cas de Rohmer). Oui, on peut les saluer même s'ils sont volontairement " datés ", quand ils sont bien maîtrisés ou tout du moins poétiques (cf. Sleepy Hollow). Je ne suivrai pourtant pas l'invite de la presse qui s'est extasiée sur la prétendue " modernité " nouvelle de Rohmer. Si l'on peut reconnaître une " expérience esthétique passionnante ", pour reprendre les mots de LG, on peut aussi considérer ce travail d'incrustation grossier et malhabile. A tout prendre, j'aurais préféré des décors naturels.
Il est sans doute légitime de saluer ce film pour son originalité dans un océan d'uniformité sur " les films de Révolution ". Tout autant, aussi, de le trouver désuet dans son traitement, conservateur dans son propos, fabuleusement ennuyeux dans son ensemble.

AG, vu en 2002 à Grenoble

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