Atanarjuat, la légende de l'homme rapide
(Atanarjuat, the Fast Runner)
2001
Nunavut
Réal : Zacharias Kunuk
Scénario et dialogues : Paul Apak Angilirq -
Images : Norman Cohn
Musique : Chris Crilly
Montage : Zacharias Kunuk, Norman Cohn, Marie-Christine Sarda
Décors : James Ungalaaqq
avec : Natar Ungalaaq, Sylvia Ivalu, Peter Henry Arnatsiaq, Lucy Tulugarjuk, Madeline Ivalu, Paul Qulitalik

-15 ! c'est baignable !

 

1.
Les bandes annonces du jour vomissent des images de guerre en Somalie, et des plans clipés de boxeur parkinsoniens (à moins que ce soit Halzeimer)...
Et le film inuit commence...
A travers ce conte qui se déroule dans l'Arctique, on se met à partager la vie rude d'êtres humains du fond des âges (même si le film est censé se dérouler il y a 50 ans). Il faut chasser pour manger (l'équipement est des plus sommaire : traîneau, chiens, harpon en os et arc). Toute la vie est conditionnée, et organisée autour de la recherche de caribous, lièvres, phoques et autres morses. Sans nourriture point de "survie", ni de place sociale dans cette micro société.
Le climat est éprouvant, la présence de glace est oppressante, le soleil semble mordant malgré le froid intense, mais la neige crisse doucement sous les pas des hommes et des chiens, et seul l'igloo protecteur recèle un peu de chaleur réconfortante.
Là bas vivent quelques familles qui cohabitent et survivent au rythme des saisons. Et c'est une histoire palpitante d'aventures, de suspense, d'esprits, d'amour, de joie , de jalousie, de haine et de pardon...que nous savourons dans la salle surchauffée. Une grande leçon d'humanité et aussi une maîtrise du récit étonnante, ces 2h52 se déroulent sans temps mort, sans effets spéciaux pyrotechniques, mais quelle virtuosité ! La poursuite d'atanarjuat nu sur l'étendue glacée vaut les plus belles poursuites new-yorkaise ou de San Francisco.

Marc Schmidt., vu en 2002

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2.
Envie de renchérir sur la critique enthousiaste de Marc : Dès les 1°minutes, le film m’a prise et m’a emmenée, il m’a emmenée pendant presque 3 h, et quand ça s’est arrêté, cela m’a frustrée car j’aurais bien partagé encore plus de temps avec ces humains-là. Bien sûr, j’étais bien au chaud et je ne serais pas prête à partager la réalité âpre et extrême de leur vie. Comment expliquer le sentiment ressenti ? Il y a à Rennes, depuis des années, un festival de conte, où l’on peut entendre des conteurs de tous pays et de toutes sortes. Ce sentiment de frustration quand ça s’arrête, je l’ai ressenti avec Nacer Kémir, conteur tunisien, qui a la réputation d’être l’un des meilleurs conteurs du monde arabe. Avec lui, les charmes de l’orient, palais des mille et une nuits, histoires imbriquées les unes dans les autres, comme des poupées gigognes, princesses et djinns, amour, ruses, sagesse…

A l’opposé d’un tel univers, (malgré quelques échappées de communication avec les esprits) le film inuit nous raconte de façon linéaire une histoire toute simple d’amour et de haine, mais placée dans une réalité éprouvante, comme l’a dit Marc Schimdt, la vie rude et inchangée depuis la nuit des temps d’être humains dans un milieu hostile, où la vie et tous ses aspects ( nourriture, lumière, chaleur, outils…) dépendent de la réussite à la chasse et à la pêche des hommes.

Mais pas seulement…Car la survie de ces quelques humains regroupés au milieu de l’immensité désertique dépend presque tout autant de l’équilibre des forces dans le groupe, de l’harmonie au sein de la ou des quelques familles rassemblées. Il est question ici des sentiments et émotions universels des humains , l’amour, le désir, la jalousie, la complicité entre générations, la joie, la peine, la douleur, la solidarité, le pardon. Mais j’ai envie de dire des sentiments et des émotions " nus ", sans protection. Car si l’on aime quelqu’un qui ne vous aime pas, ici, en France, éventuellement on le(la) voit tous les jours à son travail si l’on travaille avec lui ou elle, mais après on échappe un peu à la prégnance de ce sentiment, le soir, le week-end…. On peut, avec un peu de chance changer d’emploi, de lieu de résidence. Ici, aucune échappatoire : L’on est forcé de vivre au quotidien, en permanence, avec la personne aimée ou haïe…Imaginez un peu !

Cela donne au récit une force dramatique intense.

Comment parler du talent du cinéaste ? A vrai dire, je ne sais pas. Ni expliquer celui de Nacer Kémir, qui ne tient pas, bien sûr, qu’au contenu, mais bien au dire du conteur. Alors comment louer le " filmer " de Zacharias Kunuk ?

J’ai envie de dire qu’il filme avec amour. (Je sais que ça n’explique rien) Les émotions. Les visages, souvent filmés de très près, sont tous magnifiés par son regard. La neige, les chiens, les gestes quotidiens tout simples, ancestraux, ancrés dans une réalité dangereuse où tout a du sens. La communication avec les esprits. Il rend tout proche (même si cela reste en même temps étrange par bien des aspects ), beau et passionnant. Certes, il y a de vrais morceaux de bravoure : la course poursuite, ou l’affrontement ritualisé des deux rivaux. Mais TOUT est passionnant.

Geneviève