Bloody Sunday
Grande-Bretagne-Irlande
2001
1H47
Réal : Paul Greengrass
avec : James Nesbitt, Tiim Pigott Smith, Nicholas Farrell, Gerard Mc Sorley, Kathy Kiera Clarke.
Ours d'or au festival de Berlin 2002

 

Le dimanche 30 janvier 1972, le mouvement des droits civiques d'Irlande du nord organise dans les rues de Derry une grande manifestation pacifique pour protester contre la politique de Londres et les arrestattions arbitraires. Les autorités unionistes, l'armée et le gouvernement anglais, qui ont déclaré illégale toute manifestation publique, entendent réprimer de façon exemplaire cette marche. La tension monte progressivement...

1.
La reconstitution historique est une entreprise passionnante mais particulièrement périlleuse pour un cinéaste : comment représenter un événement historique au cinéma sans tomber dans le schématisme, la reconstitution pesante, l'hagiographie déguisée, le nationalisme outrancier et bien d'autres travers qui touchent tant de films, toutes nationalités confondues ? En retraçant le déroulement de ce funeste
"dimanche sanglant", Paul Greengrass propose des formes originales pour ce genre "difficile". L'originalité de sa démarche tient à la pluralité de ses facettes : Greengrass se fait à la fois historien, journaliste, documentariste, scénariste et metteur en scène de fiction.
Le résultat est à la hauteur de ses ambitions.

Dans son rôle d'historien d'événements récents, il se veut le plus objectif possible, but d'autant plus difficile à atteindre que pour décrire le Bloody Sunday, les deux versions, anglaise et irlandaise, sont très éloignées. Le film tente lui de nous faire comprendre ce qui s'est réellement passé, en multipliant les points de vue, en évacuant toute héroïsation et tout manichéisme et en tentant de capter les différentes logiques mises en oeuvre, les erreurs commises de part et d'autre ; on suit non seulement l'itinéraire de Ivan Cooper, un des organisateurs de la marche, mais aussi ceux des généraux, des simples paras et de certains manifestants. La sympathie du spectateur va bien évidemment aux militants des droits civiques, mais il est clairement montré que chaque camp possède ses extrémistes.

A ce niveau, le journaliste vient ici au service de l'historien : Bloody Sunday possède la rigueur d'un (bon) film d'actualité, et place le spectateur au coeur de l'action, tandis que la caméra, tremblotante comme dans un grand reportage, semble parfois improviser ses mouvements. Greengrass répond aussi à un souci de "vérité" en choisissant des acteurs non professionnels pour les petits rôles (catholiques et protestants d'Irlande du nord, anciens militaires...). Il supprime toute musique "off", hormis la chanson de U2 qui vient clôre le film.
Par bien des aspects, le réalisme de Bloody Sunday ressemble à celui des frères Dardenne, dans un registre plus spectaculaire : même nervosité, même proximité physique de la caméra vis-à-vis des personnages, même froideur apparente... On pourrait aussi, pourquoi pas, le rapprocher des extraordinaires premières minutes de Saving Private Ryan, au cours desquelles Spielberg captait si brillamment ce que pouvait ressentir et voir un soldat américain débarquant sur les plages de Normandie en 1944. Ici, nous vivons la manifestation, nous vivons la tension au sein des brigades de parachutistes, nous pleurons les morts aux côtés des militants traumatisés.

Cette comparasion avec Spielberg me permet de venir souligner une autre qualité du film : en effet, sous des allures de faux reportage, Bloody Sunday est aussi un formidable film de fiction, une véritable tragédie dans tous les sens du terme. Greengrass relie soigneusement chacun des personnages aux événements tragiques, créant chez le spectateur la crainte de l'inéluctabilé du drame. La mise en parallèle des différentes logiques que j'ai évoquée plus haut devient un vecteur de tension extrêmement efficace. La tuerie elle-même, enchaînement absurde et aveugle, le comptage des morts constituent un "final" bouleversant car affreusement réel. On en ressort en état de choc.

Enfin, en s'attaquant à ce sujet, Greengrass s'adresse aussi à l'Irlande du Nord aujourd'hui (sachant que tout film historique en dit en général beaucoup plus sur la société qui le produit que sur les événements qu'il reconstitue). Le film a été produit à la fois par les Irlandais et par les Britanniques (c'était indispensable, selon le réalisateur) : il oeuvre en cela pour la paix, et pour la résolution politique de la question irlandaise. c'est en cela, aussi, un film militant
.

A ne pas manquer.


Laurent Goualle, vu au Méliès à Pau en 2002


2.

Le dimanche 30 janvier 1972 devait servir d'exemple : l'objectif était d'arrêter 500 personnes....

Bloody Sunday est une co-production entre Grande-Bretagne et Irlande : c'est donc une nouvelle donne, parce que les points de vue des 2 camps sont totalement différents. Greengrass a fait le choix de prendre des acteurs non-professionnels ayant vécu l'événement pour paraître plus réaliste. Pari tenu! Le film est bouleversant et percutant. Le spectateur se sent vraiment à Derry, il y a 30 ans, au milieu de ce drame : réalisé en 16 mm, souvent caméra à l'épaule, Bloody Sunday donne le vertige! Il est hallucinant de réalisme. De plus, la mise en scène est superbe et le jeu d'acteur l'est lui aussi. Ce film fait preuve d'une minutie remarquable en ce qui concerne l'enchaînement chronologique des événements : les extrémistes des 2 camps que l'on arrive pas à contrôler, le PC de l'armée qui perd le controle des hommes sur le terrain... etc. Comme l'a fait remarquer Laurent, Greengrass a su rester objectif, en passant d'un camp à l'autre et en évitant tout manichéisme (même s'il est vrai que notre coeur préfère se placer aux côtés des manifestants pacifistes).
Bloody Sunday
raconte l'histoire du pacifisme submergé par la violence : des jeunes plein de haine armés de cailloux affrontant des paras agressifs; des soldats (pour qui toute personne est un danger potentiel) tirant sur tout ce qui bouge; des femmes et des vieillards abattus en tentant d'aider des blessés... Ou, comment une manifestation pour les droits civiques en Irlandes du Nord peut dégénérer ainsi et provoquer la mort de 13 personnes et en blesser 14 autres (pour la plupart des ados) Pour conclure, on connaissait l'événement; là, on a le "choc" des images (on a l'impression d'être dans la manif). Bloody Sunday donne à réfléchir sur l'absurdité de ce genre d'événement : c'est un film à voir, pour ne jamais oublier. En sortant du ciné, on pense à cette phrase célèbre "Quelle connerie, la guerre".

Marion

PS : A noter : l'effet terrible de "Sunday, Bloody Sunday" de U2 au générique final (j'ai resorti mes CD...) )


Retour menu