Carnets de voyage
(Diaros de motocicleta)
Brésil
2004
Réal. : Walter Salles
Avec : Gael Garcia Bernal, Rodrigo De La Serna, Mía Maestro
Duree : 2H06 mn

 

1.
Neruda ou Garcia Lorca ? Les deux jeunes voyageurs de cette épopée, lecteurs sensibles, s'interrogent à plusieurs reprises sur l'auteur des œuvres littéraires qu'ils citent. En réalité, ce ne sont pas deux poètes qui cohabitent dans ce magnifique hommage à l'universalisme (qui m'est cher !) mais bien cinq, et ce sur plusieurs plans. Donc, Pablo Neruda et Federico Garcia Lorca et puis… : Alberto (Rodrigo de la Serna), le cavalier attaché à sa pétrolette " la vigoureuse " (qui n'a de vigueur que l'adjectif), est le poète danseur qui entraîne Ernesto ; il est le poète charnel qui rend les corps beaux du regard (vertical) qu'il porte sur eux ; Alberto, le compagnon qui baptise le Che, le nécessaire second qui construit le héros. Celui-ci, incarné justement par Gael Garcia Bernal, est beau, évidemment, parce qu'on le sent fragile de son asthme et de sa conscience du monde. Tout comme Ernesto surmonte la maladie chronique, il transforme cette conscience en action. Cette dimension de celui qui deviendra le chef de file d'une révolution d'unification est magnifiquement filmée par Walter Salles qui est le dernier poète du quintet.
Ses plans noir et blanc des rencontres de Fuser (Ernesto) et Mial (Alberto), comme des photos tremblant au vent, rappellent que nous ne sommes pas dans la fiction et livrent une émotion que nous partageons avec le héros. Et en même temps, c'est cette même émotion ainsi que les longs plans, filmés dans la montagne ou à travers les plateaux péruviens, qui effacent tout aspect documentaire en révélant la vérité par la beauté, en initiant la réalité à la poésie. De même, à celui qui voudra reprocher au réalisateur le nombre d'indices qu'il laisse sur la naissance de l'engagement social du jeune médecin Guevara dans son film, l'on pourra opposer la fidélité des textes au Voyage à motocyclette du Che et celle des épisodes et rencontres au récit d'Alberto Granado.
J'ai vu ce très beau film un samedi de ce mois dans une salle de spectacle assise dans un fauteuil rouge feu avec une pluie battante. Il faisait très froid pendant ces deux heures dix, mais la chaleur de l'Amérique latine et celle aussi de ceux qui s'étaient déplacés pour un héros politique ou pour la beauté des paysages ou d'une langue ont réussi à maintenir une atmosphère chaude où nous avons tous pu et rire et ressentir.

Julie S., vu en 2004


2.
Grande émotion et magnifique spectacle pour ce petit bijou du cinéma sud américain. Le film nous présente un épisode méconnu mais ô combien symbolique de la vie du che. Il nous brosse d'abord le voyage initiatique de Ernesto Guevara et d'Alberto Granado à bord de leur vieille moto à travers l'Amérique du Sud. Véritable aventure humaine, cette expédition est un hymne à l'audace, à la confiance entre les hommes. Partis sans rien, les deux pilotes découvrent de la plus belle manière leur continent, au contact des gens simples. Le film glisse subtilement du voyage à la naissance d'un esprit révolutionnaire. Ernesto, fils de bourgeois, médecin, découvre l'envers du miroir : la réalité de la pauvreté de son continent, l'exploitation des descendants des indiens, l'unité des peuples. Chaque étape est l'occasion d'une reconstruction. Le passage le plus touchant se situe au Pérou, au Machu Pichu où le Che redécouvre l'héritage amérindien, héritage fascinant d'élégance, fascinant par la brutalité de sa destruction. Le film devient un hymne à l'Amérique latine : nation métisse qui ne doit pas renier ses racines. Le réalisateur glisse à merveille entre les passages nostalgiques et les moments plus "engagés " sans jamais tomber dans un militantisme exagéré. Son film n'est ni un cours ni une dénonciation : c'est l'émergence d'un continent au travers des yeux d'une de ses figures emblématiques. La partition des deux acteurs ajoute à l'émotion : aussi maladroits qu'optimistes (voir lubrique pour Granado), ils multiplient les situations cocasses. Le tout est servi par une bande son irréprochable, hymne à la créativité des artistes latino. Film coup cœur, film chaleureux, film dont la simplicité se révèle plus des enchantements.

Hervé L., vu en 2004


3.
CARNETS DE VOYAGE : UN FILM QUI ENIVRE.
Je dédie cette critique à mon frère François car c'est avec lui que j'ai écrit mon premier (et unique à ce jour) carnet de voyage...J'avais alors 14 ans, lui 17...sur une moto (une 80) pendant trois semaines...sur les routes de France et d'Italie...Annecy, la Vanoise, Pise...à la fin, le compteur marquait 7337 km... (au début il en marquait 5000) On devait aller jusqu'à Venise...on s'est arrêté à Pise ! Un de mes plus beaux souvenirs d'existence.

"C'est un film où la géographie humaine est beaucoup plus importante que la géographie physique"
Walter Salles.

Ca commence par des embrassades, des adieux autour d'une moto... L'émotion est là...Et puis, la moto s'en va et semble foncer sur un bus qu'elle évite de justesse...La légèreté, l'humour prennent place... Et l'enivrement commence...

L'enivrement du voyage avec des horizons à vous couper le souffle, des étapes géographiques marquées par les kilomètres au compteur et par de belles rencontres. L'humour prend corps grâce au personnage stéréotypé mais drôle et réussi de Granado et du couple comique qu'il forme avec Ernesto de la Guevara...Tout en contrastes tous les deux , mais complémentaires et indissociables en fait. Le réalisme de Granado, son matérialisme se heurtent à l'idéalisme sans borne d'Ernesto : son sens de la promesse, son amour de l'humanité, son horreur du mensonge. Plus un demi-dieu qu'un homme admirablement interprété par l'irrésistible Gael Garcia Bernal filmé dans la deuxième partie du film en légère contre-plongée comme pour lui donner la grandeur naissante qu'il mérite.
Mais pour devenir grand, il faut subir des épreuves qui conduisent à une initiation : Ernesto, dans une très belle scène simplement suggérée, à la lecture d'une lettre qu'on ne lit pas mais dont le spectateur devine le contenu, va découvrir la" trahison "amoureuse. Sa bien-aimée - pour qui il garde malgré la faim, le froid, les quinze dollars avec lesquels il lui a promis d'acheter un maillot de bain - lui avait dit qu'elle "l'attendrait, mais pas une éternité". Le voyage a duré trop longtemps pour elle... Ernesto est triste...Nous aussi... Il n'a plus qu'à aimer les autres... Suit une crise d'asthme sur le bateau comme une expression de son chagrin et de son désespoir.

Le film bascule alors. Dans la nuit, ils vont rencontrer deux êtres qui voyagent à la recherche d'un travail pour fuir la misère. Ces gros plans de visage rendent toute la beauté et l'intensité de cette rencontre nocturne. Les visages sont alors éclairés comme s'ils étaient l'incarnation d'une révèlation pour celui qui deviendra le futur Che... Image inoubliable... On apprendra plus tard que c'est à eux qu'il finit par offrir l'argent du "maillot de bain, promesse d'amour". C'est à eux qu'il dira sur un ton de gêne, répondant à une de leur question : "on voyage pour voyager..." comprenant soudain la vanité et la frivolité -apparentes- de leur démarche.
Suit une superbe scène où sur un fond de pierres blanches brûlées par le soleil se détachent des visages bruns latino-américains d'une tristesse infinie, attendant qu'un riche propriétaire veuille bien leur faire l'aumône d'un travail d'esclave. Ernesto, spectateur impuissant, jette une pierre sur le camion, signe de sa rebellion future que le film ne nous montre pas...Car le film a pris ce risque énorme et courageux de ne pas nous parler de la naissance du Che mais bel et bien de sa pré-naissance. On voit ce qui l'a conduit à se révolter, mais non l'organisation de cette révolte. Ce Che nous apparaît alors plus près de nous et terriblement humain notamment dans la fin du film qui nous conduit dans une léproserie où la religion est épinglée de façon humoristique mais efficace.
Le discours d'adieu d'Ernesto au personnel est long, mais touchant et juste.
Mais la suite est encore plus belle.
Ernesto qui fête son anniversaire veut aussi le fêter avec les lépreux, ceux qu'il soigne et pas seulement ceux qui aident à les soigner, mais une rive les sépare symboliquement. C'est la nuit ; il fait froid mais Ernesto, contre l'avis de Granado, se lance le défi de rejoindre ceux que l'on sépare parce qu'il les aime tous et qu'il veut être ce trait d'union entre eux. La plus belle scène du film... Ernesto nageant, luttant contre une crise d'asthme qui l'envahit, encouragé par les cris des uns et des autres... C'est une belle victoire sur lui-même où l'impossible semble alors possible. C'est l'image d'un espoir.
Ca finit par des embrassades, des adieux entre Ernesto et Granado autour d'un avion...
L'émotion est là...Tout autour, à la suite, repassent tous les visages de ces êtres qu'ils ont rencontrés fugitivement mais qu'ils n'oublieront pas...
L'émotion est vraiment là...

Béatrice A-C (vu en 2004).