Chicago
2002
Etats-Unis
Réal. : Rob Marshall
Scénario : Bill Condon, d'après Maurine Watkins, Ben Hecht, Nunnally Johnson...
Avec : Renée Zellwegger, Catherine Zeta-Jones
, Richard Gere, Richard C. Jones

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Chicago, 1927. Roxie Hart, une jeune femme en quête de notoriété, tue son amant d'un coup de revolver. Elle est arrêtée puis incarcérée dans un pénitencier avec d'autres meurtrières. La plus célèbre, Velma Kelly, a perpétré un double meurtre (sa soeur et son mari). Billy Flynn, avocat marron toujours en quête d'affaires juteuses, accepte de défendre Roxie, ce qui suscite la jalousie de Velma...

1.

Voici un film agréable, sympathique, voire intéressant.
Oui, oui, j'assume ma fougue et je m'explique.
Il est vrai que je redoutais légèrement de subir 2 heures de musiques ininterrompues, et puis dans l'inconscient collectif, les comédies musicales peuvent rimer avec un certain niveau de ringardise.

Mais en fait, le film est agréable à regarder et à écouter. Jeux de lumière, jeux des caméras, changements de style, de rythme. Oui, nous sommes dans le monde du spectacle. Ca va vite, fort, c'est relevé. Bien sûr, le revers a sa médaille, nos yeux sont parfois à la limite de la saturation (quand il faut regarder les scènes et lire la traduction), sans toute fois atteindre la nausée lacrimale. Je conseille donc aux futurs spectateurs de ne pas se mettre au premier rang.
Je trouve aussi les chorégraphies agréables, variées et pour certaines très réussies. Je pense ainsi aux passages de Mister Cellophane, au jeu des marionnettes orchestré par Richard ou bien à la plaidoirie du tribunal. Je serai pratiquement prêt à revoir ce film rien que pour étudier cet aspect, et si un visiteur de site avait les capacités d'y apporter un regard éclairé, je serai ravi de lire sa critique.
La musique en elle même, sans être un dingue de ce genre, passe bien et n'est pas trop lourde. Je me suis même parfois surpris à tapoter légèrement mon siège.
Une mention spéciale au texte de certaines chansons. L'argot est omniprésent et certaines expressions méritent d'être retenues (j'ai d'ailleurs déjà tout oublié, merde alors). Il est parfois difficile d'écouter, de traduire, de lire la traduction, de se rendre compte que ça rime en anglais et que c'est drôle mais ça vaut le coup.

J'ai également trouvé ce film sympathique, ouiouioui. Tout d'abord, j'ai souvent souri et presque ri. De plus le jeu d'acteur est bien tenu. Je trouve que la petite blonde joue bien le rôle du gentil, mais bête papillon attiré par les lumières. Elle ne montre une certaine intelligence que lorsqu'elle sent son rêve s'éloigner, et ses réflexes de survie sont alors logiquement brusques et froids.
La brune, j'ai nommmmméééé Katia (et oui, c'est le show bizzz), joue aussi un rôle " sympathique ". Tout d'abord starlette, attractive et immondément supérieure aux autres filles, elle montre comment il est rapide de sombrer derrière les rideaux (de fer et de strass). Son numéro, où elle présente son projet à blondine, est d'ailleurs bien mené. En effet, assez finement, on voit que la lumière ne lui va plus aussi bien, qu'elle n'est plus vraiment sexy mais bientôt vulgaire et que son numéro ne fait plus partie des succés de Chicago mais est plutôt le futur d'un numéro mi-strip mi-déhanchement d'un bar à whisky yankee.
Enfin, le bô Richard. Et bien oui, mister Colgate m'a agréablement surpris. J'ai eu un peu peur au tout début, car lors de la première scène, il ne cesse d'afficher son smile intemporel et il danse vraiment comme un pingouin. Et puis, tout est devenu plus fluide, une certaine alchimie s'est opérée. On pourrait appeler cela, la magie des porte-chaussettes. Il arrive à se mettre en danger sans nier totalement ce qui fait ses caractéristiques propres (très lourdes au demeurant), et je trouve que cela rajoute à la légitimité de son rôle. Cher Laurent, j'aimerais d'ailleurs tant lire une critique sur le procés de ce film. Grosso modo, à mes yeux, il a déjà joué ce rôle, à savoir il a déjà été l'avocat d'une personne impliquée dans un meurtre (certes, avant il toujours volé au secours des opprimés) et il a souvent fait appel aux sentiments des jurés pour obtenir la non culpabilité de son client. Ici, il tire les mêmes ficelles et se fout éperdument de la vérité. C'est une plaidoirie-show qui aboutit à la libération de l'accusée. Ainsi, ne montre-t-il pas les défaillances des autres films, mettant bien souvent en avant la subjectivité plus que les faits ? Moi, j'ai trouvé cela plutôt intéressant.
Enfin, dernier aspect intéressant, le film montre une ambiance crue, pleine de vie et de violence d'une Amérique des années trente et du rôle des médias (déjà ?). Seulement, je ne connais pas suffisamment cette partie de l'histoire pour dire où le faux commence à trop se séparer du vrai.

Pour clore, je conseille ce film aux autres, car je l'ai trouvé agréable, sympathique et, sous certains angles, intéressant.

Mikaël L., Vu à Lyon Bellecour, le 8 mars 2003


2.
Mikaël L. a déjà évoqué l'aspect " déjanté " du film pour les plans, les mises en scène (hors chorégraphiques autant que chorégraphiques) les couleurs, la lumière etc… ce sont, paraît-il, des " stratagèmes " abusifs et ils ont été largement critiqués.
Pour ma part, je n'ai pas été perturbée, au contraire. Je fais partie des spectateurs imbéciles dont parle VinCy dans " Ecran Noir " je suis donc une imbécile heureuse et ravie de l'assumer.
A mon avis, il y a autre chose à se mettre sous la dent, à commencer par la dérision " folle-dingue " de la sempiternelle scène judiciaire dans le ciné américain.( Mikaël L. en parle) je reviens seulement sur un point : les spécialistes de la danse de claquettes n'y trouveront certainement pas leur compte. Rob Marshall avait évidemment la possibilité de " truquer " et de proposer une " perfect dance " mais…installée dans la dérision je me sens à l'aise dans son choix. C'est une comédie musicale, ambiance " Cotton Club " et j'ai bien aimé la façon dont ce style a été détourné.
Danny Elfman a même réussi à se faire discret pour la musique de film ( offf , oufff ).

Je recommande les mille et un clins d'ouïe autant que d'œil ( Mikaël L. a raison : pour le confort des yeux, mieux vaut se mettre au fond de la salle… Laurent serait malheureux !!!)

Un exemple auditif : - Le bruitage de la goutte d'eau qui tombe du robinet dans l'univers carcéral : tout le monde sait que c'est un cliché, là n'est pas l'intérêt de la séquence.
Cet " objet sonore " s'enrichit dans une polyphonie rythmique désopilante (à condition de l'entendre au second degré… pour moi nous sommes une fois de plus dans la dérision) prélude à des chorégraphies sauvages dans leur esthétique, qui s'acharnent à être réglées au " compte-gouttes… millimétré " chantées par les six criminelles (déconnade / nection…) On est en droit de penser que ce procédé sonore est facile mais la démence qui s'affiche dans les enchaînements audio-visuels m'a séduite.
OK c'est une Super prod… OK " pour le coup de la pendaison… " : il peut ne pas plaire, en ce qui me concerne, il m'a plutôt donné envie de revoir Magnolia d'Anderson… et on peut alimenter à l'infini la litanie, je m'en remets à une vision plaisante.

PS à l'égard de Mikaël L. : Finalement, je suis assez d'accord avec sa conception de la vulgarité dans le film. Je n'ai pas réussi à capter les rimes dans les chansons, film à revoir ?

Brigitte Boëdec Lyon, mars 2003


3.
Chicago
, comédie musicale de Rob Marshall, c'est une vieille histoire. Ce film a pour origine une pièce à succès de Maurine Watkins, adaptée en 1927 par Frank Urson (un film muet). En 1941, William Wellman tourna une nouvelle version appelée Roxie Hart, écrite par Nunally Johnson et Ben Hecht, avec dans le rôle-titre Ginger Rogers accompagnée par Adolphe Menjou en Billy Flynn lyrique et survolté. Cette comédie satirique réjouissante, parfois un peu "lourde", connut une brillante carrière commerciale à l'époque. Sa principale qualité (à mon avis) est qu'elle tournait en dérision le système judiciaire américain au cours d'un procès qui est une de ses scènes clés.
Dans les années 70, Bob Fosse en fit un spectacle de music-hall (il y avait déjà quelques morceaux dansés dans le film de 1941). C'est ce spectacle (tout aussi célèbre) que Rob Marshall, venu de Broadway, a décidé d'adapter pour le grand écran tout en reprenant (parfois très fidèlement), certaines lignes du scénario de Hecht et Johnson, supprimant certains personnages (le journaliste) et gonflant l'importance d'autres (Velma).

Ayant une certaine tendresse pour le film de Wellman, je ne suis peut-être pas très objectif vis-à vis de Chicago, et j'ai passé une bonne partie du film à comparer les deux versions. Mais je vais essayer de rassembler mes impressions en me focalisant sur les qualités et les défauts de la version récente. Je garderai les comparaisons pour la fin.

Tout d'abord, la comédie musicale : j'ai été dans l'ensemble déçu. Sur le plan esthétique, Chicago m'a fait regretter Moulin Rouge (que je n'avais pourtant pas défendu avec ferveur sur le forum) : ici les costumes, censés dévoiler la chair qui se libérait dans les années trente, sont d'une rare laideur (dans le genre paillettes-cuir-sado-maso) ; les numéros dansés sont inégaux (on nous refait pour la cent millième fois le coup du Diamonds Are the Girls' Best Friends), et le chorégraphe confond souvent le cadre avec un fourre-tout bordélique ou (plus souvent) une revue du Lido. Restent quelques bons moments : la première chanson de Roxie sur son mari, et peut-être le duo final, énergique et pétillant.
Un petit mot sur les acteurs : tout ce qu'a dit Mikaël sur Richard Gere est juste, sauf que je n'ai pas vu chez lui une quelconque évolution au cours du film. 60 ans après, Richard Gere n'arrive pas à la cheville d'Adolphe Menjou (en concédant que ce dernier en faisait aussi des tonnes) et s'avère particulièrement fâlot et inexpressif, visiblement peu à l'aise dans les chorégraphies et dans l'exercice du chant, ce qui pose tout de même un grave problème dans une comédie musicale. Où alors fallait-il faire dans l'autoparodie totale. Les femmes elles s'en tirent plutôt bien (Catherine Zeta-Jones, tout en force - un peu trop ? - joue les musclors des pistes de danse, et Catherine Zellwegger, un peu moins énergique, balade son charmant minois )...
Mais le reproche majeur que je ferai au film lui-même est lié à ce traitement de la comédie musicale : a force de frénésie et d'outrance, les numéros s'enchaînent beaucoup trop vite pour que l'on s'intéresse un tant soit peu à l'histoire. En définitive, on est plus face à du Music-Hall filmé plutôt que du cinéma. Par ailleurs, l'outrance des personnages, qui était une caractéristiques de la pièce et du film d'origine, s'accommodent assez mal du cinéma du 21ème siècle.

Quant à l'aspect subversif du film dans la représentation du procès, c'est un sujet intéressant, même passionnant. Mikaël a noté que le film mettait en avant la subjectivité d'un procès, au détriment de l'examen strict des faits. C'est tout à fait juste et c'est un des grands thèmes du film judiciaire hollywoodien. On aurait tort de croire que l'image de la justice que véhicule Hollywood soit celle d'un mécanisme parfait et bien rôdé. Bien sûr, il est rare que les innocents soient condamnés à tort. Mais, mais, le procès hollywoodien a toujours été une affaire de manipulation dont l'avocat est souvent un des grands ordonnateurs (Souvenons nous du génial Autopsie d'un meurtre de Preminger). Ce dernier a toujours oscillé entre le cynisme absolu et l'angélisme le plus total, à la fois héros et salaud, sans qu'on puisse vraiment distinguer l'un de l'autre. Un des plus beaux personnages d'avocats du cinéma récent est sans doute celui de The Barber, extraordinaire maître de marionnettes (comme Gere ici). Quant à ce cher Richard, en effet il a déjà joué ce type de rôle : mais déjà dans Peur Primale, son personnage restait très ambigu : séducteur et cynique, il évoluait au cours du film pour devenir un héros un peu plus pur, avant de se faire berner par son propre client.
Il n'y a donc dans le ton du film rien de bien innovant ici, même s'il est vrai que la satire est particulièrement féroce : mais là encore, cette attitude n'a rien de moderne ni d'original, car le cynisme ambiant était déjà présent dans la pièce et le film de 1941.
Un petit plus tout de même : avec le numéro de claquettes, la manipulation verbale est ici élevée au rang d'art, à défaut de permettre d'atteindre la vérité. Je regrette cependant la réalisation très maladroite de cette séquence.**

Enfin, dans l'ensemble la mise en scène du procès me semble un peu grossière et pas très réussie. J'avais apprécié la façon dont Lars Von trier s'était approprié les murs étriqués du tribunal dans Dancer in the Dark pour y développer une danse tragi-comique, fantasme de l'héroïne. Ici, Rob Marshall refuse d'utiliser les éléments de la salle d'audience et met en parallèle deux décors, l'un imaginaire et l'autre réel. Le premier est une piste de cirque où s'entassent pêle-mêle trapézistes, animaux, jongleurs, et ne ressemble plus vraiment à un tribunal. Le second est tout à fait conforme aux canons du genre : jurés, juge, table des accusés, journalistes... Le film se contente de les mettre en parallèle, ce qui est lourd et gâche totalement le rythme et le suspense qu'on pouvait légitimement attendre d'un procès.
Dommage aussi que l'on ne se soit pas intéressé plus aux jurés, qui étaient source de comique dans le film de Wellman et qui sont quasiment absents du film de Marshall. Le procès est sous-traité dans son rôle dramatique : à part Flynn et Roxie, les autres protagonistes n'existent pas. Masqué par la musique, Le dialogue est quasiment absent, ce qui est un comble ; on est privé des très bons jeux de mots du script original, et du jonglage des personnages avec le vocabulaire judiciaire. Les effets de manche de l'avocat vieille école disparaissent ici au milieu de changements de plans incessants
.

Sur un autre point, je ne peux m'empêcher aussi de rendre à César ce qui est à César, à savoir quelques "trouvailles" de Chicago qui se trouvaient déjà dans Roxie Hart :
- l'annonce du verdict par journaux interposés
- le dialogue entre le mari et l'avocat (identiques à celui de 1941) : "quand vous êtes venu me voir vous ai-je demandé : 'est-elle innocente ou coupable ?' Non, je vous Je vous ai demandé : 'avez-vous 5000 dollars ?"
- Les décorateurs du film ont fait un clin d'oeil à Roxie Hart en reprenant l'arche qui domine le fauteuil du juge.
- Le problème de la culpabilité de Roxie, qui restait non résolu dans le film de W, est vite évacué ici, ce qui prive d'un élément de suspense intéressant.
- Manque aussi la réaction des parents de Roxie, qui, quand on leur annonce qu'elle risque la corde, répondent que cela ne les étonne pas du tout et continuent à se balancer tranquillement dans leurs rocking-chairs.

Bon je m'arrête, encore une fois désolé pour ces comparaisons qui paraîtront un peu lourdes à ceux qui n'ont pas vu le film de Wellman... Mais, après tout, Chicago est une sorte de remake
.

Pour finir, si je peux me permettre de tenter de répondre à la question de Mikaël sur l'attitude des médias réels à l'époque, je dirai que la presse écrite des années trente était aussi frénétique que le décrit le film : la montée du crime organisé et la guerre des gangs des grandes métropoles (Chicago, New York) faisaient la une des journaux ; certains grands criminels raffolaient des interviews et se voyaient obtenir de pleines pages où ils exprimaient leurs points de vue sur la société américaine... Par ailleurs des magnats de la presse comme W. R. Hearst avaient des liens avec les gangsters. Cet ensemble aboutit à donner des criminels comme Al Capone une image mythique. Quant aux avocats, ils jouissaient d'une assez mauvaise réputation à une période ou le crime organisé faisait régner la terreur et se jouait facilement des procédures grâce aux juristes marrons. Ajoutons quand même que Billy Flynn n'est pas présenté dans Chicago comme un avocat de la pègre. il aime surtout les belles femmes et la notoriété.


Un dernier mot : si vous aimez les procès au cinéma, quelques uns sont évoqués ou décortiqués sur le site : Crimes et pouvoir, The Barber



Laurent Goualle, vu à Pau en 2003


*La scène est un pauvre clin d'oeil à une scène du génial Cotton Club construite sur le même principe : montage parallèle entre un splendide numéro de claquettes de Gregory Hines et une scène de meurtre. Dans le film de Coppola, Richard Gere se contentait de jouer de la trompette !

 

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