1.
LES CHORISTES : UN FILM QUI
REUNIT.
Je dédie cette critique à tous les Pépinos de la terre -qu'ils soient
grands ou petits- car c'est le personnage préfèré de ma fille aînée Oriane...et
le mien aussi.
Le film français à succès de l'année qu'il fait bon ton de bouder quand
on se dit grand cinéphile des salles art et essai est une réussite.
Ca pourrait virer au mélo ; ça tourne à l'émotion. Et la magie s'opère
parce que, soudainement et de façon très précieuse car rare, alors que
la salle est comble, les pop-corns se taisent, les portables se tiennent
tranquille, les chuchotements même deviennent inaudibles ... pour laisser
place à un recueillement quasi-religieux dans une communion cinématographique
et musicale.
Ecouter le silence d'une salle et entrer dans un film... Magie fascinante
du cinéma... ne serait-ce que pour cela, le film est une grande réussite
qu'on ne doit pas discuter même s'il serait sans doute intéressant d'étudier
le phénomène.
Alchimie du charme de l'enfance aux multiples visages parfois avec des
destins brisés, parfois avec des destins sauvés...Mandin, incarnation
de la violence mais aussi de l'injustice, qui fait peur et pitié à la
fois, qui nous quitte en se retournant avec une espèce de rictus à jamais
énigmatique et indéchiffrable regardant le pion Clèment Matthieu désarçonné
par ce cas qui le dépasse mais pour qui il aurait aimé aussi pouvoir faire
quelque chose ; Morange, l'ange à la voix ensorcelante dont le destin
ressemble à celui d'un conte de fée; Pépino qui , par sa fragilité et
sa tristesse,est incroyablement présent et attachant comme ont pu l'être
l'enfant du Voleur de Bicyclette ou Brigitte Fossey dans Jeux interdits.
Tout cela pourrait paraître trop stéréotypé mais à l'écran, non, car le
choix de ces jeunes acteurs a été judicieux aussi bien dans leur présence
physique et corporelle que dans leur jeu.
Emotion liée à ce qu'on appelle parfois avec mépris "les bons sentiments"...
mais Gérard Jugnot et plus encore son personnage les incarne avec une
simplicité qui leur rend une authenticité et un naturel qui rappellent
que les "bons sentiments", ça a aussi du bon parce que ça nous ramène
à ce qu'il y a en nous de sensible et d'humain. Difficile de retenir ses
larmes quand ce maître de musique est renvoyé pour avoir trop bien fait
d'une certaine façon, qu'il pense partir seul, mais que des dizaines de
petits avions atterrissent à ses pieds et que des dizaines de petites
mains s'agitent pour dire au revoir, disant enfin toute leur reconnaissance
et leur attachement... Image facile diront certains...non, parce que,
justement, tout cela est justement dosé et l'on ne s'appesantit pas...quasiment
jamais d'ailleurs dans le film... les scènes sont brèves et s'enchaînent
bien, portées par ces choeurs d'enfant guidés également par le talent
de Bruno Coulais.
Difficile de ne pas sourire en entendant certaines répliques ou en allant
à la rencontre d'un personnage secondaire extraordinaire, celui du professeur
d'arithmétique qui paraît encore plus malheureux que ses élèves
-une prison ambulante qui fait froid dans le dos par la tristesse, l'austérité
et la sévèrité qu'il dégage- mais qui, un jour, va entendre ses chants
qui vont le libérer de sa propre cage après une longue évolution. La scène
où il dit sur un ton morose à Clèment Matthieu tout aussi abasourdi que
le spectateur " Qu'est-ce qu'on attend pour faire la fête ? Qu'est-ce
qu'on attend pour être heureux ? " avant de reprendre son masque et son
rôle en s'adressant la seconde d'après à ses élèves en leur disant : "arithmétique
page 27" est savoureuse mais également terrible. C'est une de mes scènes
préférées du film.
Difficile de ne pas s'attacher au personnage de ce maître de musique,
incarnation de toutes ces rencontres fugitives, modestes qu'on peut faire
mais qui peuvent aussi radicalement changer votre vie... Quelqu'un qui
garde tout pour lui mais qui donne beaucoup, qui peut même faire des miracles...
Héros anonyme...Chaque spectateur en a un dans sa vie...
Pour finir, je dirai que si ce film réunit autant, c'est qu'il est, je
crois, au sens où Godard pouvait dire cela de Truffaut, profondément
français... Et d'ailleurs, je pense que le réalisateur de L'argent de
poche et de L'enfant sauvage aurait goûté au plaisir de ce film tendre.
Béatrice
A-C. , une Pépinette parmi d'autres, 2004.
|