Comment j'ai tué mon père
Réal. : Anne Fontaine
2001
Avec : Charles Berling, Michel Bouquet

 

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Décidément , après des relations mère/ fille pour le moins tendues dans " la Pianiste " nous voici plongés dans des relations père/ fils qui n'ont rien à envier à la pesanteur de la société bourgeoise autrichienne et pourtant , nous sommes à Versailles. On peut avoir de ce film une lecture facile (et une plume rapidement acide) : Le jeune médecin qui s'enrichit sur le dos des bourgeois (grâce à la dot de sa femme qui a probablement payé sa clinique privée ) c'est le fils : J.Luc .Borde (Charles Berling) ; sa femme est belle (évidemment) , un brin potiche " mais bien éduquée " . Evidemment notre cher jeune médecin " saute " son assistante …. Fort jolie (et exotique ! !) Evidemment , notre " héros " si charmant a sorti de la galère son vilain petit canard de frère (Patrick) qui se prend pour un artiste mais qui est un loser . Le père (Maurice) déboule après des années d'absence (Michel Piccoli nous a fait le même coup avec Miou Miou and co) il aurait sa place comme semeur de M., mais voilà : lui c'est le super médecin de la brousse , le sauveur des pauvres , un peu docteur Schweitzer .. selon l'imagerie populaire des années 50 …. Et la critique pourrait s'arrêter là .

MAIS

Eh bien , pour ceux qui le désirent , cheminons d'une autre manière :
Penchons nous sur les musiques de ce film : elles ont de quoi nous renseigner , une autre lecture peut alors apparaître … en filigrane ! mais en lien total avec le reste

la musique d'écran : Elle n'intervient que 2 fois et toujours dans l'univers de Patrick, le jeune frère, celui qui n'est pas médecin, celui qui a été encore plus abandonné, celui qui aurait voulu être un " artiste", qui est le serviteur de son frère .. . C'est la musique de la boîte de nuit (curieusement c'est aussi la seule musique entendue dans un autre film traitant de relations sordides entre père et fils, un superbe film : " La Promesse " et, de manière encore plus curieuse la scène d'un duo en direct est également présente dans ce film …)
Dans ce night-club, on les découvre, les uns et les autres, d'une autre manière et ils se découvrent eux mêmes et à eux mêmes, avec de la retenue et de la cruauté (comme tout au long du film).

la musique de fosse : elle est tout à fait pertinente , il serait dommage de penser qu'elle se contente de ponctuer, d'accompagner, de faire du remplissage dans ce film Elle est dérangeante : pas de mélodie (pas de sentimentalisme) pas de cellule rythmique caractéristique (pas d' action) des valeurs longues, qui ne cessent de se mélanger : on ne sait plus qui a pris le relais du violon ou du violoncelle, peut-être est-ce même cet instrument discret : celui des médiums qu'est l'alto. Ces instruments (et le mode de jeu que le compositeur leur a imposé) sont les répliques sonores de la problématique des personnages: qui prend le relais ? est ce que le père est venu semer la zizanie ou bien est-il venu aider ce fils qui lui ressemble tant? Est-il venu aider le plus jeune de ses fils à trouver sa voie en l'incitant à se séparer du confort matériel que lui offre son frère mais se séparant en même temps de ce frère qui l'a toujours soutenu ? Est-il venu aider sa belle-fille à avoir un enfant ou bien cherche -t-il seulement à séparer le couple ? Jocelyn Pook n'a utilisé que le quatuor à cordes et cela n'est pas pour rien : le " 4 voix "est considéré comme la structure sonore la plus stable et le quatuor à cordes est la colonne vertébrale de l'orchestre .
Pourquoi une telle musique ? pourquoi évolue-t-elle comme elle le fait tout au long du film ? La plupart du temps c'est le violoncelle qui débute les séquences musicales : le timbre chaleureux du violoncelle a la réputation d'être le plus proche de la voix humaine. Maurice , le père , pense que la réussite sociale de son fils ne l'a pas humanisé . Le problème est que cette voix chaleureuse du violoncelle s'achève toujours dans des aigus tendus des violons (la tension est toujours présente dans le film) rien n'y est confortable. La scène où le père est à l'église est très reposante sur le plan visuel (les lumières des bougies , la prise de vue sur les grandes orgues) et cependant , même dans cette ambiance de sérénité visuelle (on s'attend à entendre les superbes orgues retentir et nous apporter au moins un bien-être spirituel) … la musique des cordes garde son processus de tension progressive et inéluctable.

Reflet sonore de ce qui se passe dans la vie des personnages Chacun a ses raisons d'être ce qu'il est : le père explique qu'il n'a pas pu résister à l'appel de ce qu'il croyait être un idéal … mais il finit par se poser des questions sur cet idéal. Jean Luc a des raisons d'être sans amour : il s'est formé tout seul , l'amour ne lui a pas été apporté dans sa corbeille de naissance : difficile de distribuer aux autres ce qu'on n'a pas reçu soi même . il a " mutilé " sa femme (c'est elle qui le dit et à juste titre ) et il s'avère qu' Isa n'est pas du tout une potiche bourgeoise ! ! !
Patrick n' est pas pitoyable dans son pseudo rôle d'artiste raté : il arrive même à nous faire réellement rire ou sourire (la scène du chien, oublié par sa "vilaine maman" au prisunic) Tout est comme la musique : un tissage dans lequel il ne faut pas chercher qui a tort ou qui a raison (nous sommes loin du cinéma américain avec les bons, d'un côté et les méchants de l'autre) nous sommes en face d'êtres humains, qui sonnent comme la musique : avec des dissonances.
Je laisse la conclusion à la musique : à la fin du film et pour la première fois les voix du quatuor à cordes ne sont pas tendues dans les aigus mais évoluent "à égalité".

Un film qu'il faut aussi " ENTENDRE".

2001 excuses : mes écrits sont toujours un peu longs et très peu " journalistiques " vous avez donc de la patience si vous avez tout lu ! ! !


Brigitte B., vu en 2000
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