Le couperet
2005
Réal. : Costa-Gavras
Avec : José Garcia


Portrait d'un assassin
S'il ne fallait garder qu'un film pour illustrer les dangers de l'ultra libéralisme, Le Couperet remporterait tous les suffrages. Le film propose une vertigineuse plongée dans les abysses de notre société. Chronique de la folie ambiante, il aurait pu s'appeler chronique d'un assassin ordinaire. José Garcia campe un cadre supérieur sacrifié sur le bûcher de la concurrence à outrance. Tout son univers de certitude s'effondre. Gavras cerne bien l'illogique d'une société où l'on finit par vivre pour travailler. Toute la première partie du film décrit la psychologie névrosée du chômeur : scénario de l'attente et des espoirs trahis. Costa Gavras ne se prive pas tire à boulets rouges sur les fameux chasseurs de tête " négrier " des temps modernes aussi suffisants que désincarnés. On ne peut s'empêcher de sombrer avec José Garcia dans cette mélancolie dépressive : la mécanique du monde du travail fonctionne à vide. Le tout rappelle En attendant Godot. Toute cette mise en place permet à Gavras de filmer sa métaphore extrême du capitalisme. Garcia décide ainsi d'éliminer tous ses concurrents potentiels pour retrouver sa vie et sa dignité. Il se drape dès lors dans les valeurs du libéralisme : concurrence acharnée, volonté de domination. Le film fonctionne à merveille car si on frémit au 1er assassinat on finit très vite par comprendre le geste. Tout en souhaitant l'arrestation de Garcia on souhaite le voir mener à bien son défi. Tout le processus de culpabilité est vécue par le spectateur. On reste bien incapable de condamner ce cadre. Car le ton du film est clair : ce n'est pas lui le coupable mais ce système économique qui invente une nouvelle élite, celle de ceux qui ont un emploi ". le film se transforme en drame. Garcia se lance dans une course en avant contre lui-même : assumer jusqu'au bout sa stratégie. Une incroyable galerie de portraits vient approfondir sa réflexion entre les cadres désabusés, les cardes reconvertis. Gavras décrit un carnaval de fous lancés à la poursuite d'un hypothétique Graal. Il plane autour du film un voile mortifère. Dans ce manège sinistre, l'acte de destruction devient l'unique moyen de réveiller les consciences. l'itinéraire de Garcia n'est pas unique. Tous les personnages portent en eux cette rage et cette incompréhension. Heureusement Gavras ménage quelques moments d'humour noir, décalé forcément efficace. Le film plonge ses racines dans une région Nord sinistrée (Roubaix en particulier). Il prend dès lors une résonance toute particulière. On lit à travers Garcia tout le destin d'une région martyre. Soulignons la partition extraordinaire de Garcia loin des ses rôles de cabotin notoire. A la fois père de famille précautionneux, assassin scientifique, planificateur et monstre de chair et de sang. Il est servi par d'admirables second rôle dont un conseiller conjugal noir excellent. La fin du film est à l'image de l'ensemble : dérangeante, brillante. Ultime métaphore des jeux du cirque d'un millénaire mal engagé. Un grand film sur tous les points. Une œuvre qui réveille notre côté obscur.

Hervé L., 2005

 

 

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