Cinéma, Deuil et société
5 films autour de la mort en 2003.

Depuis qu'Otar est parti (julie Bertucelli, 2003)
Les invasions barbares (Denys Arcand, 2003)
Goodbye Lenin (Wolfgang Becker, 2003)
Avanti ! (Billy Wilder, 1972)
El Bola


Au hasard des programmations, des reprises et des dates de sorties des films, naissent parfois, de façon inopinée, des tendances qui rassemblent des oeuvres cinématographiques pourtant a priori éloignées. On y trouve alors des représentations du monde communes, des témoignages convergents sur nos sociétés. Ainsi en l'espace de deux semaines, le petit cinéma de ma ville a projeté, sans le faire exprès, 4 films de pays différents qui traitaient du même thème : la mort annoncée ou effective d'un être. A chaque fois ce décès déclenche des émotions et des réflexions intimes, mais aussi, et c'est là l'originalité de tous ces films, des questionnements politiques et sociaux : Depuis qu'Otar est parti (France-Géorgie), Avanti (Etats-Unis, reprise du film de Billy Wilder), Les invasions barbares (Canada) et Goodbye Lenin (Allemagne) tournent tous autour d'une fin de vie et de ses conséquences psychologiques et idéologiques*.


Père, mère, fils...

Tous ses films sans exception mettent en scène une relation filiale. La mort du père sert de point de départ à Avanti :
Jack Lemmon, industriel américain pressé, vient rapatrier le corps de son père mort dans un accident en Italie aux côtés de sa maîtresse.
Les invasions barbares s'achèvent sur la mort du père atteint d'un cancer après une longue agonie au cours de laquelle il renoue des liens avec son fils exilé.

Seul Depuis qu'Otar est parti imagine la mort du fils ayant quité la Géorgie pour vivre à Paris (mais ce sont toutes les relations inter-générationelles qui en sont chamboulées).
Enfin Goodbye Lenin permet de revisiter les rapports entre un fils et sa mère, tombée dans le coma au moment de la chute du mur de Berlin.



Mort et exils

Au thème de la mort vient se greffer celui l'exil. Le Golden Boy des invasions barbares, renié par son père professeur d'université, vit en Angleterre une vie à l'exact opposé de celle de son père. Il ne vient assister ce dernier que parce qu'il est à l'article de la mort. Malgré la réconciliation finale, Il quittera Montréal après le décès pour retourner dans son monde d'argent, non sans quelques regrets. C'est cette même trajectoire que suit Jack Lemmon dans Avanti. L'homme d'affaire cynique découvre en Italie un monde qui ne lui ressemble pas, mais le deuil de son père est pour lui le point de départ d'une renaissance aux plaisirs et à la sensualité. Cela ne l'empêchera pas de faire aussi le voyage du retour vers les Etats-unis.
Le voyage est aussi au coeur de Depuis qu'Otar est parti : celui du fils parti chercher une vie meilleure à l'Ouest, puis celui du reste de la famille qui vient le rejoindre et quitter quelques instants la vie difficile dans une ex-république d'URSS. L'une des protagonistes fera elle aussi le choix de l'exil en Europe.
Le choc entre l'Est et l'Ouest préoccupe aussi les personnages de Goodbye Lenin : même si géographiquement la distance est moins grande, elle est idéologiquement difficile à franchir. Le fils choisit un exil volontaire dans la chambre de sa mère, représentation en miniature d'une RDA modèle. Il protège la mère d'un déracinement idéologique qui la mettrait en danger de mort.
Mort et exil géographique vont de pair. Ils participent du déracinement et du désarroi vécu par l'ensemble des personnages, perdus dans un monde en plein bouleversement.

Deuils politiques, cynisme et désillusions

Au delà de l'individu et du groupe familial, la mort sert de point de départ à une réflexion politique sur l'état de nos sociétés. De l'ex-RDA au fin fond de la Géorgie, en passant part le Québec, le deuil ne relève pas seulement de l'intime, il devient social et politique. Et le bilan qui nous est offert n'est pas des plus optimistes.
La mort du père dans Avanti est l'occasion pour Wilder de tirer à boulets rouges sur la culture américaine, représentée de façon comique et grinçante par ce fils particulièrement hypocrite et antipathique puis par le diplomate égocentrique et méprisant.
De cynisme il en est aussi question dans les invasions barbares : l'historien mourant ne peut que constater le délabrement d'une société laissée aux mains des marchands. Il fait un bilan amer sur son propre parcours et sur la fin de ses illusions. L'hôpital, lieu principal de l'action dans la première partie du film, est une métaphore de la société occidentale, délabrée, livrée à l'anarchie et aux marchands. Cet aspect de délabrement
est aussi présent dans Depuis qu'Otar est parti, où l'on retrouve des scènes d'hôpital assez semblables : Le symbole d'un pays où l'on survit par la débrouille, parce qu'on a de bons amis argentés, mais où la précarité domine. Pays riches comme pays pauvres semblent être les proies d'un libéralisme sans frein.
Ce triomphe du monde libéral est aussi lié à la chute du communisme, thème commun à Goodbye Lenin et Depuis qu'Otar... Dans le premier, le sort de l'ex-RDA est mis en parallèle avec celui de la mère, une mère qui partage quelques traits avec la grand mère de Depuis qu'Otar... toutes deux ferventes communistes, elles n'en cachent pas moins leur jeu et leurs idéaux s'avèrent finalement peut-être moins solides qu'ils n'en paraissent au début des deux films. finalement, le bilan qui nous est offert est loin d'être optimiste.
La mort d'un être semble aussi être celle annoncée d'un monde en déclin, sans idéaux, dans llequel on se résigne à vivre tant bien que mal.


Mensonges intimes, mensonges collectifs

Le thème du mensonge est au coeur de tous ces films : Depuis qu'Otar est parti et de Goodbye Lenin. Le mensonge d'état et le mensonge intime s'entremêlent dans le film allemand : la mère ment à ses enfants sur la raison du départ de leur père, elle ment aussi sur l'authenticité de son engagement socialiste. Le mensonge est un procédé que va reprendre son propre fils pour imaginer une RDA en salon, régime rêvé qui en vient à accueillir des réfugiés venus de l'Ouest ! Tout l'intérêt de ce film réside bel et bien dans cet entrelacs de mensonges entre mère et fils.
Un mensonge partagé par les femmes de Depuis qu'Otar est parti, se cachant mutuellement la vérité de la mort du parent, par amour. Que dire encore du mensonge du père défunt dans avanti, un mensonge que le fils lui-même finira par perpétuer à la fin du film. Chez Wilder, on tente de masquer les écarts de conduite d'un père qui avait une relation hors mariage. Dans les films géorgien et allemand, c'est la mort elle-même qui est dissimulée, et plus métaphoriquement celle du régime communiste pour Goodbye Lenin.


Le remplacement

Tenter de remplacer l'être disparu est le premier réflexe des vivants pour supporter le chagrin de la perte. Jack Lemmon suit ainsi les traces de son père dans Avanti ; dans Depuis qu'Otar est parti, la nièce du mort imagine les lettres que son oncle aurait pu écrire pour sa mère... Puis, comme son oncle, elle prendra la décisionde rester en France.
Dans Goodbye Lenin, c'est une utopie de remplacement que construit le fils. Le mur étant tombé, il recrée un faux régime "en chambre" pour sa mère qui ne peut quitter le lit. Mais il finit lui-même par s'attacher à cette utopie. L'Allemagne socialiste qu'il finit par construire le fils est une image idéale du monde qui n'est destinée qu'à lui-même.



Finalement c'est par des bricolages maladroits que les personnages, démunis, font face à la mort. Néanmoins celle-ci permet une recomposition plus juste et plus harmonieuse de la famille ; elle permet de faire évoluer les personnages vers une plus grande humanité (Jack Lemmon dans Avanti!, Stéphane Rousseau dans Les invasions barbares). Mais le constat sur la société n'en reste pas moins grave, et nul échappatoire autre qu'indiviuel n'est proposé. Face à ce bilan collectif douloureux, chaque groupe semble se réfugier dans la tribu familiale ou amicale ; les individus se résignent à retrouver leur quotidien (Stéphane Rousseau dans les Invasions...) ou à vivre dans un monde qu'ils n'ont pas l'intention de changer.
La mort a permis au cinéaste de faire un bilan social et parfois idéologique ; le deuil d'un être devient le deuil d'idéaux, mais ne permet pas la renaissance d'une conscience politique chez les vivants. Ce qui rend ce "genre" assez pessimiste, c'est qu'au-delà de l'intime, au delà du resserrement des liens familiaux et d'un apaisement, d'une humanisation, rien de neuf ne naît vraiment, sinon d'autres exils (celui de la petite fille dans Otar, des fils des invasions et d'Avanti). Finalement les deux mères de Goodbye Lenin et depuis qu'Otar mettent la protection de leurs enfants avant toute chose. Cela donne pour les 4 films des fins soit tristes soit douces-amères. Les hommes auront appris à faire face à la mort, une mort qui aura servi de leçon pour les vivants, sans que ceux-ci ne s'en servent au-delà d'une simple prise de conscience individuelle ou d'une consolidation familiale.


*auxquels on peut associer Son frère de Patrice Chéreau, mais aussi Mystic River de Clint Eastwood et El Bola (voir ci-dessous)

Laurent G., Octobre 2003

 


Mort, deuil et société dans le film El Bola d'Achero Manãs Espagne
2001

Analyse complète
Pistes musicales

La mort est le fil conducteur de ce film.

1 Parce qu'il n'a pas fait le deuil de son fils aîné, mort dans un accident, le père de Pablo se venge sur ce fils qui est en vie et le brutalise. La seule promenade de la famille est la visite au cimetière, sur la tombe du frère disparu, visite qui est un véritable culte-rituel (la grand-mère a été lavée, scène poignante)
La société (les voisins, l'école, l'assistante sociale) personne ne réagit face à la maltraitance de l'enfant vivant qui "paye" la mort du frère, tout le monde "sait" mais personne ne bouge.

2 Pablo fait partie de cette bande de jeunes qui flirtent avec la mort sur les rails de la voie ferrée.
C'est le jeu de la bouteille qu'il faut saisir en traversant la voie au moment où le train arrive. Les images sont d'une réelle violence et retracent des faits réels.
Ce jeu est donc un fait d'actualité, un véritable drame urbain pour des enfants qui n'ont plus rien à perdre si ce n'est la vie. Ils gagnent le sentiment d'exister en frôlant la mort.
Encore une fois la société est impuissante : elle se contente d'appeler la police qui arrive trop tard, qui n'est pas une solution, qui ne peut rien contrôler ni arrêter.

3 le sida et la mort inéluctable : Félix, le parrain d'Alfredo meurt de cette maladie, un de ses proches amis refuse de lui rendre une dernière visite : il en a assez de voir disparaître tous ses amis de cette maladie. Quant à Alfredo, c'est la première fois qu'il est confronté à la mort mais contrairement à Pablo, il est entouré par la famille et les amis au moment de la disparition de l'être cher. Pour Pablo, le frère mort est un fantôme qui l'empêche de vivre (il le traite de "con").

4 Dans un long dialogue sur la vie et la mort, Pablo et Alfredo s'opposent. Alfredo mise sur la vie , il dit : " je suis éternel " il n'y a pour lui aucun enjeu dans le jeu de la bouteille ( qu'il traite de " connerie ") Confronté à la mort de Félix, il a été entouré et il possède sa propre vie, dans sa lutte contre la mort, c'est le désir de vivre qui domine. La mort de Félix ne laisse pas de trace, il ne fait plus partie des vivants tandis que le " frère -mort " de Pablo est plus présent que Pablo lui même. Sa mort a détruit la vie de la famille , celle de Pablo et l'avenir de Pablo qui finit par s'enfuir.

BB, octobre 2003


3.
Dans une telle rubrique, il est difficile de ne pas parler de Ken Loach.

The navigators nous fait vivre la mort d'un travailleur du rail, victime symbolique et réelle du système libéral anglais : la machine politique et économique broie les êtres humains.

Dans My name is Joe, le film s'achève sur le suicide et l'enterrement de Liam, encore une fois, K.Loach met la société au banc des accusés : rien dans l'aide sociale n'est assez conséquent pour empêcher la maffia urbaine de prendre le contrôle des laissés-pour-compte. Encore une fois l'être humain subit un destin qui le conduit à la mort.

BB

 

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