Vincent est
un ancien consultant qui a été licencié (ou qui a décidé de démissionner,
on ne le sait pas de manière exacte) Il ment à son entourage familial
et se crée un emploi fictif à Genève : il emprunte à Pierre pour ne
pas rendre à Paul. Bref, pour maintenir son train de vie, il récupère
de l'argent auprès d'anciennes connaissances professionnelles, il leur
fait miroiter ses entrées dans une petite banque de Genève: leur argent
va rapporter gros. Il est démasqué par un directeur de Novotel qui a
compris le manège et qui "l'embauche" pour passer de la marchandise
de manière frauduleuse en Suisse. Petit à petit sa femme découvre le
manège.
1.
Emprunté à un fait divers glauque (qui a défrayé la chonique du gènevois)
le sujet du film n'en reste pas, heureusement, prisonnier. analyse critique
: Le personnage principal, Vincent, est crédible, sa problématique dans
la solitude, son introversion quasi maladive sont très lourdes à porter
pendant toute la durée du film et ceci est tout à fait bien vu. Cependant
quelques erreurs, même peu nombreuses, dans le choix d'acteurs non professionnels
(ou jouant commme des amateurs) ont suffi à me perturber et à me faire
sortir de la magie que j'attends du cinéma (à mon sens le film le plus
réaliste est un film MAGIQUE s'il est bien fait). Le film m'a semblé
Iong or il est des films dont le tempo est lent sans qu'ils ne paraissent
longs! K. Viard dans le rôle de l'épouse sonne juste, c'est à peu près
tout ce qui me reste de 2h12 de cinéma. La musique : le trio à cordes:
violoncelle, alto et violon est utilisé comme simple musique d'accompagnement
des images (ou pire : je soupçonne cette musique de n'avoir parfois
qu'un rôle artificiel de remplissage). Le thème confié au violoncelle
fait semblant d'être ample et généreux, je n'ai quant à moi aucune générosité
à son égard : trop facile, rien à voir avec l'intelligence de l'écriture
du quatuor dans "Comment j'ai tué mon père".
B.B, 2001 vu en
ciné club... en compagnie d'un public (du génevois) venu pour le fait
divers ! ! et qui se croyait devant la télé avec mamie et les petits
gâteaux).
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2.
Vincent traine lentement sa carcasse le long des route, dort dans sa
voiture, téléphone de temps en temps à ses proches en s'inventant une
vie. Inexorablement il s'enferme dans ses mensonges et cette illusion
de vie, on le sait dès le départ, est sans issue. Ce n'est pas un film
sur le travail, ni sur la détresse du licencié, ni sur la description
d'un fait divers (comme le croyaient certains spectateurs lors de la
projection) c'est globalement un film sur la peur qui est par ailleurs
construit sur l'insupportable montée de cette angoisse. Comment, à partir
de pas grand chose, le réalisateur nous fait vivre une sorte de thriller
non pas haletant mais sombre et inquiétant. C'est je crois la grande
force du film . Hormis le jeu imprécis des acteurs secondaires, amateurs,
je suis entré directement dans l'univers de ce personnage énigmatique.
La méticulosité avec laquelle Laurent Cantet nous décrit son périple
et sa fausse quête de l'impossible, est tout à fait remarquable. Vincent,
le personnage central vit dans sa voiture, enfermé dans une cage de
verre (la présence des vitres et glaces- glace et neige- est par ailleurs
omniprésente). Vincent vit dans la peur de dire et de faire, il se cache
et seul le "vrai faussaire" qui le rencontre saura le décrypter, pour
un moment seulement. On pourrait croire que le sujet du film est le
licenciement, la détresse face à la perte de l'emploi, mais ce thème
est davantage en filigrane que traité au grand jour. Le personnage a
sûrement peur de ne pas retrouver une dignité qu'il a sans doute possédée
lors de son précédent emploi mais il a également peur d'assumer sa reconversion,
sa possibilité de repartir sur un nouveau travail (il en a l'opportunité).
Chaque étape est une escalade dans cet enfermement. Le réalisateur ne
nous donne pas de solution : aux fenêtres qui s'ouvrent devant lui,
Vincent oppose des refus ou plutôt il les traverse pour fuir encore
plus loin.
Ce que je trouve particulièrement fort dans ce film c'est le mélange
en ce personnage : cette extrême fragilité qu'il manifeste (il est dévoilé
facilement dans son mensonge, il se confie à sa femme, il rend, pris
de remords, l'argent qu'il a emprunté au couple modeste), et cet étrange
plaisir à mentir, à tromper à s'inventer ce personnage. Mais le film
nous montre bien qu'il s'agit d'une course impossible; par des petits
riens et des scènes soigneusement choisies, nous percevons qu'il se
sait condamné. Le film nous décrit bien cette peur lente et maladive
que le personnage s'est construit, les raisons? Peut-être à cause de
ce père si prévenant et soucieux de voir son fils réussir, des prétentions
se sont-elles démesurément façonnées? Et cette peur maladive d'affronter
directement la réalité? Comme dans la plupart des très bonnes réalisations
, tout nous est suggéré pour que nous supposions les choses à notre
tour. Ce film a, lors du débat de notre "café-ciné", suscité beaucoup
de réactions et d'émotions et a bien entendu permis une réflexion profonde
sur la réalité du monde du travail ou de l'attitude que chacun entretient
avec cette réalité sociale. C'est tellement nécessaire tant ce sujet
est si peu abordé dans le cinéma.
François
G., vu en 2001
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3.
Dans ce qui est à mon sens un des meilleurs films français
de cette fin d'année, Cantet réussit à nous passionner
pour un sujet difficile à traiter (j'avoue que je suis allé
voir le film à reculons). Le choix de l'acteur principal est
excellent, la mise en scène discrète, dans un style "réaliste"
indispensable pour que l'on comprenne la trajectoire de cet homme, qui
bascule de la banalité vers l'étrange. Cantet filme avec
une froideur assez terrifiante un quotidien qui se transforme en un
mensonge de plus en plus lourd à porter. Par ailleurs, je ne
suis pas d'accord sur votre critique des acteurs non-professionnels
; au contraire, l'idée de faire se rencontrer Vincent et "l'escroc
bien dans sa peau" est une bonne idée de cinéma,
qui rejoint le réel (ce personnage est joué, je crois,
par un véritable escroc).
Enfin, pour ne pas être redondant avec la critique de François,
qui traduit bien mon propre sentiment sur ce film, je me contenterai
de rapprocher ce film de Roberto Succo (2000) : peut-être
à cause des nombreuses scènes de voiture, cet objet contemporain
qui est à la fois le refuge ultime de Vincent, sa coque de protection
contre le réel, et aussi le véhicule de l'errance physique
et psychique de Succo dans le film de Cédric Kahn. Rappelons
que les deux films, tournés dans la même région,
montrent à l'identique, de façon "clinique",
le dérapage d'un homme. Mais la comparaison s'arrête là.
Vincent n'a pas recours à la violence, et ce qui fait la force
de Cantet, c'est qu'il réussit à nous mettre dans la peau
de ce personnage au destin peu ordinaire, pour exprimer nos peurs intimes.
En effet, chacun peut se retrouver dans l'attitude de Vincent, fuyant
la réalité, se réfugiant dans une imposture qui
est une impasse.
Laurent G., vu en
2001 au Méliès, à Pau
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