Femme fatale

Réal. : Brian de Palma
Scénario: Brian De Palma
avec : Rebecca Romijn-Stamos, Antonio Banderas, Peter Coyote, Eriq Ebouaney, Thierry Frémont
Durée: 1H55

 

Résumé
Un gang de voleurs de bijoux organise un hold-up en plein festival de Cannes : il s'agit de dérober une parure portée par un mannequin et d'y substituer une autre. Le coup ne fonctionne qu'à moitié, et une des voleuses s'enfuit avec le butin. A la suite d'une succession de hasards, elle prend l'identité d'une femme qui se suicide devant ses yeux, puis s'envole pour les Etats-Unis. Elle y rencontre un diplomate qu'elle épouse. Huit ans plus tard, elle retourne en France, mais la photo d'un paparazzi va permettre à ses anciens acolytes de retrouver sa trace.



Brian de Palma est un grand inventeur et un grand manipulateur de formes cinématographiques, on le sait depuis longtemps. Il a signé de grands chefs d'oeuvre, (dont L'impasse, mon préféré), mais aussi des oeuvres de commande plus décevantes, comme le récent Mission to Mars. Femme fatale, son premier film tourné en France est à mi-chemin entre ces deux extrêmes.
Reconnaissons tout d'abord qu'il s'agit d'une de ses productions les moins inspirées sur le fond, car handicapée par un scénario particulièrement invraisemblable, voire délirant. On a beau passer sur les premières coïncidences et hasards qui influent sur le destin de l'héroïne, les ressorts finissent vite par coincer. De Palma multiplie les entreprises de sauvetage pour recoller les morceaux d'une histoire totalement improbable, allant jusqu'à nous refaire le coup classique du "Ah, ce n'était qu'un rêve", une vieille astuce scénaristique un peu facile qui remonte au cinéma muet, et qui m'a toujours semblé décevante, même utilisée par les plus grands (Lang dans La femme au portrait y compris). A priori donc, on rangerait Femme fatale parmi les échecs de De Palma si...si... s'il l'on ny trouvait pas cette perfection formelle, ces trouvailles géniales de mise en scène qui portent la marque des grands cinéastes.
Je ne retiendrai que la scène d'ouverture, absolument magistrale*, De Palma y filme un hold up en plein festival de Cannes, un hold-up à la fois cinéphilique, technologique, érotique et... musical. Préparé minutieusement, le coup de force des "braqueurs" se fait selon un timing extrêmement précis que vient rythmer la musique-off, sorte de boléro qui rappelle celui de Ravel. On pourrait d'ailleurs considérer la scène entière comme une pièce musicale, les différents acteurs jouant le rôle des instruments... Le mouvement lent et continuel de la caméra, le montage très régulier, les gestes même des personnages (le déhanchement sensuel de la victime en particulier) suivent avec une précision diabolique la partition musicale qui se joue à nos oreilles de spectateurs, comme une pièce bien huilée dont tous les rouages s'enclenchent peu à peu.

Le crescendo qui conclue le boléro épouse bien évidemment la montée en puissance dramatique, car comme souvent dans les hold-ups, un grain de sable vient gripper la belle machine. Cette parfaite adéquation entre musique et mise en scène cinématographique donnent une scène d'une extraordinaire fluidité et d'une maîtrise absolue. Un travail d'orfèvre.

Par ailleurs, De Palma s'amuse en déclinant tout au long du film la figure du miroir et du double (récurrente dans toute son oeuvre), selon différents modes :
- le "film dans le film" tout d'abord : Femme fatale s'ouvre sur la scène finale d'Assurance sur la mort de Billy Wilder, qui est regardée par l'héroïne dont on voit le reflet dans le poste de télévision -héroïne qui va s'identifier au personnage de Barbra Stanwick par la suite. Est-Ouest de Régis wargnier (autre titre miroir) est le second film dans le film, projeté au festival de Cannes au début, et dont l'affiche sera visible à plusieurs reprises.
- la mise en scène en miroir : l'utilisation du split-screen (écran partagé) permet au spectateur de voir simultanément la même scène selon deux points de vue différents.
- La figure du double : elle concerne le personnage principal, mais est aussi une autre référence cinématographique (Hitchcock et Vertigo, véritable Obsession pour de Palma)
- Le double photographique.
- Enfin, le rêve et la réalité, qui s'entrechoquent dans une scène...double, au milieu et à la toute fin du film
.



Bref, tout cela pour vous dire qu'il faut voir ce film comme un brillant exercice de style, en passant outre ses outrances scénaristiques et ses nombreux défauts (dont le casting n'est pas un des moindres). Une mise en scène-champagne...

*il y a en général une scène d'anthologie dans chaque film de De Palma, un tour de force de mise en scène : la poursuite dans le métro de l'impasse, l'escalier dans les Incorruptibles, le plan séquence d'ouverture dans Snake Eyes, la scène de la tronçonneuse dans Scarface, et j'en passe...

Laurent Goualle, vu à Pau en 2002