Résumé
Un gang de voleurs de bijoux organise un hold-up en plein festival de
Cannes : il s'agit de dérober une parure portée par un
mannequin et d'y substituer une autre. Le coup ne fonctionne qu'à
moitié, et une des voleuses s'enfuit avec le butin. A la suite
d'une succession de hasards, elle prend l'identité d'une femme
qui se suicide devant ses yeux, puis s'envole pour les Etats-Unis. Elle
y rencontre un diplomate qu'elle épouse. Huit ans plus tard,
elle retourne en France, mais la photo d'un paparazzi va permettre à
ses anciens acolytes de retrouver sa trace.
Brian de Palma est un grand inventeur et un grand manipulateur de formes
cinématographiques, on le sait depuis longtemps. Il a signé
de grands chefs d'oeuvre, (dont L'impasse, mon préféré),
mais aussi des oeuvres de commande plus décevantes, comme le
récent Mission to Mars. Femme fatale, son premier
film tourné en France est à mi-chemin entre ces deux extrêmes.
Reconnaissons tout d'abord qu'il s'agit d'une de ses productions les
moins inspirées sur le fond, car handicapée par un scénario
particulièrement invraisemblable, voire délirant. On a
beau passer sur les premières coïncidences et hasards qui
influent sur le destin de l'héroïne, les ressorts finissent
vite par coincer. De Palma multiplie les entreprises de sauvetage pour
recoller les morceaux d'une histoire totalement improbable, allant jusqu'à
nous refaire le coup classique du "Ah, ce n'était qu'un
rêve", une vieille astuce scénaristique un peu facile
qui remonte au cinéma muet, et qui m'a toujours semblé
décevante, même utilisée par les plus grands (Lang
dans La femme au portrait y compris). A priori donc, on rangerait
Femme fatale parmi les échecs de De Palma si...si... s'il
l'on ny trouvait pas cette perfection formelle, ces trouvailles géniales
de mise en scène qui portent la marque des grands cinéastes.
Je ne retiendrai que la scène d'ouverture, absolument magistrale*,
De Palma y filme un hold up en plein festival de Cannes, un hold-up
à la fois cinéphilique, technologique, érotique
et... musical. Préparé minutieusement, le coup de force
des "braqueurs" se fait selon un timing extrêmement
précis que vient rythmer la musique-off, sorte de boléro
qui rappelle celui de Ravel. On pourrait d'ailleurs considérer
la scène entière comme une pièce musicale, les
différents acteurs jouant le rôle des instruments... Le
mouvement lent et continuel de la caméra, le montage très
régulier, les gestes même des personnages (le déhanchement
sensuel de la victime en particulier) suivent avec une précision
diabolique la partition musicale qui se joue à nos oreilles de
spectateurs, comme une pièce bien huilée dont tous les
rouages s'enclenchent peu à peu.
Le crescendo
qui conclue le boléro épouse bien évidemment la
montée en puissance dramatique, car comme souvent dans les hold-ups,
un grain de sable vient gripper la belle machine. Cette parfaite adéquation
entre musique et mise en scène cinématographique donnent
une scène d'une extraordinaire fluidité et d'une maîtrise
absolue. Un travail d'orfèvre.
Par ailleurs, De Palma s'amuse en déclinant tout au long du film
la figure du miroir et du double (récurrente dans toute son oeuvre),
selon différents modes :
- le "film dans le film" tout d'abord : Femme fatale
s'ouvre sur la scène finale d'Assurance sur la mort de
Billy Wilder, qui est regardée par l'héroïne dont
on voit le reflet dans le poste de télévision -héroïne
qui va s'identifier au personnage de Barbra Stanwick par la suite. Est-Ouest
de Régis wargnier (autre titre miroir) est le second film dans
le film, projeté au festival de Cannes au début, et dont
l'affiche sera visible à plusieurs reprises.
- la mise en scène en miroir : l'utilisation du split-screen
(écran partagé) permet au spectateur de voir simultanément
la même scène selon deux points de vue différents.
- La figure du double : elle concerne le personnage principal, mais
est aussi une autre référence cinématographique
(Hitchcock et Vertigo, véritable Obsession pour
de Palma)
- Le double photographique.
- Enfin, le rêve et la réalité, qui s'entrechoquent
dans une scène...double, au milieu et à la toute fin du
film.
Bref, tout cela pour vous dire
qu'il faut voir ce film comme un brillant exercice de style, en passant
outre ses outrances scénaristiques et ses nombreux défauts
(dont le casting n'est pas un des moindres). Une mise en scène-champagne...
*il y a en général
une scène d'anthologie dans chaque film de De Palma, un tour
de force de mise en scène : la poursuite dans le métro
de l'impasse, l'escalier dans les Incorruptibles, le plan
séquence d'ouverture dans Snake Eyes, la scène
de la tronçonneuse dans Scarface, et j'en passe...
Laurent
Goualle, vu à Pau en 2002
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