Résumé
: 1929, dans une petite ville du Kansas, Bud et Deanie sont passionnément
amoureux. Le père de Bud, un riche fermier qui a de grandes ambitions
pour son fils, refuse toute idée de mariage tant que Bud n'a
pas terminé ses études. De son côté, Deanie
souffre d'être surprotégée par ses parents, de petits
commerçants. Bud se soumet au désir de son père,
qui ruiné par la crise économique, se suicide. Deanie
fait une grave dépression nerveuse et est soignée dans
une clinique.
C'est la période
des classiques sur le forum : je vous propose aujourd'hui quelques réflexions
sur La fièvre dans le sang, qui est un des plus beaux
films (sinon le plus beau) d'Elia Kazan. Ce réalisateur hollywoodien,
fascinant par son génie mais aussi par son parcours peu commun
(immigré d'origine grecque, acteur, homme de théâtre,
puis réalisateur, victime, puis délateur lors du Maccarthysme...)
est aujourd'hui considéré comme un des "grands"
de la période classique hollywoodienne.
Tourné avant America America (1963), autre chef d'oeuvre
autobiographique, Splendor in the Grass coïncide avec la
période de déclin des grands empires hollywoodiens, et
avec l'abandon progressif du code Hayes, qui régissait jusqu'ici
la censure cinématographique (rappelons que Kazan a eu maille
à partir avec cette dernière 5 ans plus tôt, au
moment de la sortie de Baby Doll).
- Ce n'est donc pas un hasard si les thèmes du déclin
et de la crise sont au centre de l'intrigue. Cette dernière est
en effet très précisément datée : la fin
des années vingt, l'insouciance économique des Etats-Unis,
puis le tournant du chaos boursier de 1929, viennent en effet accompagner
la crise individuelle des personnages.
- Les thèmes de la sexualité, du puritanisme et de la
pression sociale s'inscrivent eux aussi dans ce cadre. Kazan parle de
sexe sans jamais prononcer le mot, et son attaque du puritanisme de
l'Amérique des années trente, est bien entendu dirigée
contre les tabous sexuels des années 60, comme un pied de nez
à la censure cinématographique du moment. Car l'un des
principaux sujets du film est bien la frustration sexuelle. Cela passe
entre autres par le recours aux symboles naturels : la cascade en est
un des plus insistants et des plus frappants. L'impossibilité
de l'accomplissement de l'acte sexuel entre les deux héros est
à la base de leur destin tragique, et le travail des comédiens
sur ce point est formidable : leurs soupirs, leur retenue, leur sensualité
à fleur de peau portent la marque de l'Actor's Studio dont Wood
est issue. La "fièvre",
crise rentrée chez les uns, explosive chez les autres renvoie
là aussi à d'autres films de Kazan (A l'Est d'Eden).
Dans une société américaine superficielle qui s'abandonne
aux chimères du capitalisme et de l'enrichissement facile, le
poids des déterminismes
sociaux et du milieu familial écrase l'individu : on assiste
alors à l'étouffement programmé de Bud par son
père, celui de Deanie qui se rebelle à sa manière,
et trouve le refuge dans la folie passagère.
Splendor in the Grass reste, 40 ans après, d'une puissance
émotionnelle et d'une très grande intelligence dans la
peinture d'une génération perdue.
Il nous offre de purs et formidables moments de cinéma, comme
cette arrivée du couple Trina/Bud dans le hall de l'université,
petit îlot de bonheur fébrile au milieu du tumulte de la
rentrée, et bien sûr, la scène
finale, totalement bouleversante, qui mériterait à elle
seule une très longue analyse) : dans le décor d'une ferme
en chantier, ou des bêtes errent un peu partout, symptome du gâchis
de l'existence de Bud, qui a su, tant bien que mal, reconstruire un
foyer, nous découvrons avec Deanie que son grand amour a désormais
une femme et un enfant.
Dans une atmosphère crue et triste, sans la moindre musique (mais
où les bruits du quotidien -animaux, basse cour, friture- envahissent
l'espace sonore), sous le soleil trop brillant, nous interrompons un
instant le cours de la vie de Bud, occupé aux travaux agricoles
dans une ferme ou règne un "bonheur" triste et résigné.
En quelques répliques banales, quelques échanges de regards
triangulaires (Deanie/Bud/Angelina), quelques jeux sur la profondeur
de champ, Kazan fait passer une somme monumentale de sentiments et de
thèmes : le bref espoir, vite déçu, de Deanie,
la résignation des personnages face à la réalité
triste et crue, la brève étincelle d'un amour perdu. Le
film s'achève sur les vers magnifiques de Wordsworth, qui prennent
un tour amer en accompagnant le départ de Deanie :
"Though nothing can bring
back the hour
Of splendor in the grass,
Of glory in the flower
We will grieve not, but rather find
Strength in what remains behind."
Laurent G., vu en
2002
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