Fièvre dans le sang (La)
(Splendor in the Grass)
1961
Etats-Unis
Réal. : Elia Kazan
Scén. :William Inge
Photo : Boris Kaufman
Décors : Richard Sylbert
Musique : David Amram
Avec : Nathalie Wood (Wilma Dean "Deanie" Loomis), Warren Beatty (Bud Stamper), Pat Hingle (Ace Stamper), Barbara Loden (Ginny Stamper)...
couleurs, 124 min.

 

Résumé : 1929, dans une petite ville du Kansas, Bud et Deanie sont passionnément amoureux. Le père de Bud, un riche fermier qui a de grandes ambitions pour son fils, refuse toute idée de mariage tant que Bud n'a pas terminé ses études. De son côté, Deanie souffre d'être surprotégée par ses parents, de petits commerçants. Bud se soumet au désir de son père, qui ruiné par la crise économique, se suicide. Deanie fait une grave dépression nerveuse et est soignée dans une clinique.

C'est la période des classiques sur le forum : je vous propose aujourd'hui quelques réflexions sur La fièvre dans le sang, qui est un des plus beaux films (sinon le plus beau) d'Elia Kazan. Ce réalisateur hollywoodien, fascinant par son génie mais aussi par son parcours peu commun (immigré d'origine grecque, acteur, homme de théâtre, puis réalisateur, victime, puis délateur lors du Maccarthysme...) est aujourd'hui considéré comme un des "grands" de la période classique hollywoodienne.


Tourné avant America America (1963), autre chef d'oeuvre autobiographique, Splendor in the Grass coïncide avec la période de déclin des grands empires hollywoodiens, et avec l'abandon progressif du code Hayes, qui régissait jusqu'ici la censure cinématographique (rappelons que Kazan a eu maille à partir avec cette dernière 5 ans plus tôt, au moment de la sortie de Baby Doll).
- Ce n'est donc pas un hasard si les thèmes du déclin et de la crise sont au centre de l'intrigue. Cette dernière est en effet très précisément datée : la fin des années vingt, l'insouciance économique des Etats-Unis, puis le tournant du chaos boursier de 1929, viennent en effet accompagner la crise individuelle des personnages.
- Les thèmes de la sexualité, du puritanisme et de la pression sociale s'inscrivent eux aussi dans ce cadre. Kazan parle de sexe sans jamais prononcer le mot, et son attaque du puritanisme de l'Amérique des années trente, est bien entendu dirigée contre les tabous sexuels des années 60, comme un pied de nez à la censure cinématographique du moment. Car l'un des principaux sujets du film est bien la frustration sexuelle. Cela passe entre autres par le recours aux symboles naturels : la cascade en est un des plus insistants et des plus frappants. L'impossibilité de l'accomplissement de l'acte sexuel entre les deux héros est à la base de leur destin tragique, et le travail des comédiens sur ce point est formidable : leurs soupirs, leur retenue, leur sensualité à fleur de peau portent la marque de l'Actor's Studio dont Wood est issue
. La "fièvre", crise rentrée chez les uns, explosive chez les autres renvoie là aussi à d'autres films de Kazan (A l'Est d'Eden).

Dans une société américaine superficielle qui s'abandonne aux chimères du capitalisme et de l'enrichissement facile, le poids
des déterminismes sociaux et du milieu familial écrase l'individu : on assiste alors à l'étouffement programmé de Bud par son père, celui de Deanie qui se rebelle à sa manière, et trouve le refuge dans la folie passagère.

Splendor in the Grass reste, 40 ans après, d'une puissance émotionnelle et d'une très grande intelligence dans la peinture d'une génération perdue.
Il nous offre de purs et formidables moments de cinéma, comme cette arrivée du couple Trina/Bud dans le hall de l'université, petit îlot de bonheur fébrile au milieu du tumulte de la rentrée, et bien sûr, la scène
finale, totalement bouleversante, qui mériterait à elle seule une très longue analyse) : dans le décor d'une ferme en chantier, ou des bêtes errent un peu partout, symptome du gâchis de l'existence de Bud, qui a su, tant bien que mal, reconstruire un foyer, nous découvrons avec Deanie que son grand amour a désormais une femme et un enfant.
Dans une atmosphère crue et triste, sans la moindre musique (mais où les bruits du quotidien -animaux, basse cour, friture- envahissent l'espace sonore), sous le soleil trop brillant, nous interrompons un instant le cours de la vie de Bud, occupé aux travaux agricoles dans une ferme ou règne un "bonheur" triste et résigné.
En quelques répliques banales, quelques échanges de regards triangulaires (Deanie/Bud/Angelina), quelques jeux sur la profondeur de champ, Kazan fait passer une somme monumentale de sentiments et de thèmes : le bref espoir, vite déçu, de Deanie, la résignation des personnages face à la réalité triste et crue, la brève étincelle d'un amour perdu. Le film s'achève sur les vers magnifiques de Wordsworth, qui prennent un tour amer en accompagnant le départ de Deanie :


"Though nothing can bring back the hour
Of splendor in the grass,
Of glory in the flower
We will grieve not, but rather find
Strength in what remains behind.
"




Laurent G., vu en 2002

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