En 1846, 2
gans (les Dead Rabbits et les Natives Americans) se livrent à une guerre
sanglante dans le quartier de Five Points. Bill le Boucher assassine
le chef des Dead Rabbits (Père Vallon) et devient de ce fait le "chef"
exclusif du quartier. Afin d'augmenter l'ampleur de son pouvoir, il
s'associe avec un politicien. 16 ans plus tard, Amsterdam, le fils du
Père Vallon, revient venger son père...
1.
Gangs of New York est un film superbe, cruel, sanglant, vrai. Il
retranscrit bien New York des 1860's avec son cortège de misère, brutalité
et corruption. Le contexte historique m'a paru bien exposé (mais je
ne suis pas une experte de l'histoire de la création des Etats-Unis).
Bref, j'ai appris pas mal de choses : particulièrement sur l'état d'esprit
des américains à cette époque. J'ai par exemple été étonnée par le racisme
omniprésent envers les noirs, alors que l'abolition de l'esclavage venait
d'avoir eu lieu. Mais en y réfléchissant bien, le Ku Klux Klan a été
crée à peu près à la même période, donc cela n'a rien d'étonnant...
En réalité, l'abolition de l'esclavage ne s'est pas faite pour des raisons
d'éthique ou je ne sais quoi : mais les opinions contre l'esclavage
étaient le plus souvent liées au désir d'affaiblir le Sud et de gagner
le soutien de l'Europe (rien à voir avec de l'humanitaire quoi).
Plein d'autres détails historiques m'ont intéressée : comme le fait
que les riches pouvaient échapper à la conscription moyennant 300 dollars
(mais c'était le même système en France), ou que les New Yorkais ne
voulaient pas appartenir à l'Union, ou encore les "Native Americans"
qui n'ont de natifs que le nom (bah oui, les américains natifs ne sont
pas ces colons arrivés de Grande-Bretagne au 17e siècle, mais bien les
Indiens!) se considéraient vraiment comme totalement différents
des nouveaux arrivants irlandais qui ont pourtant les mêmes origines
qu'eux.
Bref, ce film est vraiment complet sur le plan historique et a largement
assouvi ma soif de connaissance en ce qui concerne les Etats-Unis pendant
la guerre de Sécession. De plus, les acteurs sont brillants :
Daniel Day-Lewis est vraiment formidable dans le rôle de Bill le Boucher
(quelle que soit sa façon de travailler ses rôles dont on nous parle
tant depuis des semaines). Les décors sont exceptionnels et démesurés
et certains plans sont sublimes. La réalisation est parfaite : de superbes
idées (dignes d'un grand réal... arf, bah c'est normal ça!)
Pour conclure, allez voir Gangs of new York, 3 h de grand cinéma.
L'Amérique est définitivement née dans la rue...
Marion
PS: Ne ratez pas
le petit clin d'oeil : on aperçoit Martin Scorsese dans une scène où
Cameron Diaz pénètre dans une maison pour y voler quelques babioles...
2.
Malgré ses petits défauts, ses trébuchements, son
scénario un peu bancal et trop explicatif et quelques aspects
commerciaux, Gangs of New York est une superbe démonstration
de ce que le cinéma peut apporter à la représentation
du monde et de l'histoire, et en plus particulièrement celle
de l'Amérique. Nous avons ici le regard personnel d'un artiste
sur une période cruciale de l'histoire américaine, celle
de la guerre de Sécession, un point de vue original parfaitement
documenté et argumenté.
A la différence de tous ses prédécesseurs qui se
sont intéressés à cette période, il choisit
de localiser son histoire loin des champs de bataille où s'affrontèrent
sudistes et unionistes, pour se plonger dans un lieu qu'il connaît
bien, la ville de New York, là-même où il a écrit
les plus belles pages de son cinéma. Pour ajouter à ce
qu'a rappelé très justement Marion, New York, à
l'époque, est déchirée sur la question de la conscription.
C'est une période particulièrement difficile sur le plan
économique et social pour les Etats-Unis, au Sud comme au Nord.
Des grèves éclatent, les prix augmentent. Les travailleurs
blancs du Nord (les Irlandais en particulier, ce qui contredit un peu
l'image qu'en donne Scorsese dans le film) se montrent peu enclins à
aller se battre pour les noirs, qui sont en concurrence avec eux pour
certains métiers. Les noirs sont aussi employés comme
briseurs de grèves. C'est aussi une période où
les classes plus défavorisées voient avec colère
les riches échapper à la conscription grâce à
leur fortune. Les émeutes qui éclatent font près
de 400 morts, et seule l'intervention de l'armée unioniste revenant
de Gettysburg permet d'y mettre fin.
Scorsese nous offre donc une vision totalement inédite de la
période 1840, (puis 1860) de New York, de Tammany Hall, machine
politique démocrate qui dominera la ville jusqu'au début
du 20ème siècle, n'hésitant pas à avoir
recours à la corruption et à la violence. Le quartier
des Five Points tel que nous le présente le réalisateur
est un lieu de désordre organisé, où le crime et
la petite délinquance sont les rois. Le quartier irlandais est
une véritable cour des miracles à la Dickens, le mélange
des ethnies se fait dans la confusion, le racisme et la violence, une
confusion qui fait le jeu des politiciens corrompus. La démocratie,
objet constant de fierté outre-Atlantique, n'est que façade
: on bourre les urnes des deux côtés, on assassine les
candidats élus sans hésiter.
Dans un style
baroque ébouriffant (ne pas rater la formidable scène
d'ouverture), Scorsese nous plonge dans un univers de démence,
de désordre et de violence, dominé de la tête et
des épaules par Daniel Day-Lewis, dont on ne saluera jamais assez
la performance. Gangs of New York possède aussi un souffle
lyrique et historique qui rappelle La Porte du Paradis, un point
commun relevé à juste titre par de nombreux critiques
: il faut dire le projet de Scorsese remonte à l'époque
où fut tourné le chef d'oeuvre maudit de Michael Cimino.
Comme lui, il traite des problèmes
d'immigration, fondamentaux pour qui veut comprendre la création
et l'évolution de l'Amérique moderne, et malheureusement
peu traités par le cinéma hollywoodien.
Du coup, ce changement
de point de vue aboutit à une image beaucoup plus subversive
des Etats-Unis, celle d'une période plus connue pour des faits
d'armes et des champs de bataille qui donnèrent naissance au
pays moderne que pour la violence, le racisme, les inégalités
et la pauvreté qui apparaissent dans le film et que connurent
les contemporains de Lincoln. Dans le pays que nous décrit Scorsese
(New York concentre évidemment les conflits du pays entier),
tout est beaucoup plus diffus, à l'opposition Sud-Nord se substituent
des antagonismes et une violence incontrôlée.
Il ne faut pas chercher dans Gangs of New York un souci de réalisme
parfait ni d'exactitude historique absolue, il s'agit d'une interprétation
de l'histoire qu'il faut aussi analyser au regard de l'Amérique
actuelle, alors que les conservateurs tentent de répandre le
phantasme d'une union nationale indéfectible pour appuyer leurs
désir de guerre. Ce déchaînement de violence est
aussi une réponse à ceux qui voudraient récrire
l'histoire et la lisser de tout ce qui remettrait en cause le modèle
de l'émergence inéluctable d'une nation réconciliée.
Laurent
Goualle, vu en 2003 à Pau
PS. : La musique,
assez réussie selon moi,
s'avère parfois un peu envahissante, comme souvent (tout le termps
?) dans les grosses superproductions américaines actuelles. Les
scènes des préparatifs des deux batailles (début
et fin) sont accompagnées d'un mélange de traditionnel
irlandais (au tin whistle) et de percussions "tribales" fascinantes,
exprimant parfaitement l'évolution psycho-sociologique des immigrants
irlandais, dont la culture se transforme dans leur nouveau pays, confrontée
à la violence et aux luttes tribales.
Notons aussi le traitement des questions religieuses : les Irlandais
ont visiblement la sympathie de Scorsese, catholiques comme lui, et
il est évident que le réalisateur d'origine italienne
s'identifie aux immigrants, confrontés comme ses ancêtres
au racisme, aux difficultés de survie, et au protestantisme dominant.
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