Gangs of New York
Etats-Unis
2H50
Production : Miramax, Initial Entertainment Group
Réalisation : Martin Scorsese
Scénario : Jay Coks, Steven Zaillan, Kenneth Lonergan
Photo : Michael Ballhaus
Décorateur : Dante Ferretti
Montage : Thelma Schoonmaker
Chanson : U2 Durée : 170 mn
Avec : Leonardo Di Caprio (Amsterdam / Vallon jr) Daniel Day-Lewis (William Cutting, Bill le Boucher) Cameron Diaz (Jenny) Brendan Gleeson (Monk McGinn) Jim Broadbent (Boss Tweed) Henry Thomas (Johnny) et aussi Liam Neeson

 

En 1846, 2 gans (les Dead Rabbits et les Natives Americans) se livrent à une guerre sanglante dans le quartier de Five Points. Bill le Boucher assassine le chef des Dead Rabbits (Père Vallon) et devient de ce fait le "chef" exclusif du quartier. Afin d'augmenter l'ampleur de son pouvoir, il s'associe avec un politicien. 16 ans plus tard, Amsterdam, le fils du Père Vallon, revient venger son père...

1.
Gangs of New York
est un film superbe, cruel, sanglant, vrai. Il retranscrit bien New York des 1860's avec son cortège de misère, brutalité et corruption. Le contexte historique m'a paru bien exposé (mais je ne suis pas une experte de l'histoire de la création des Etats-Unis). Bref, j'ai appris pas mal de choses : particulièrement sur l'état d'esprit des américains à cette époque. J'ai par exemple été étonnée par le racisme omniprésent envers les noirs, alors que l'abolition de l'esclavage venait d'avoir eu lieu. Mais en y réfléchissant bien, le Ku Klux Klan a été crée à peu près à la même période, donc cela n'a rien d'étonnant... En réalité, l'abolition de l'esclavage ne s'est pas faite pour des raisons d'éthique ou je ne sais quoi : mais les opinions contre l'esclavage étaient le plus souvent liées au désir d'affaiblir le Sud et de gagner le soutien de l'Europe (rien à voir avec de l'humanitaire quoi).
Plein d'autres détails historiques m'ont intéressée : comme le fait que les riches pouvaient échapper à la conscription moyennant 300 dollars (mais c'était le même système en France), ou que les New Yorkais ne voulaient pas appartenir à l'Union, ou encore les "Native Americans" qui n'ont de natifs que le nom (bah oui, les américains natifs ne sont pas ces colons arrivés de Grande-Bretagne au 17e siècle, mais bien les Indiens!) se considéraient vraiment comme totalement différents des nouveaux arrivants irlandais qui ont pourtant les mêmes origines qu'eux.
Bref, ce film est vraiment complet sur le plan historique et a largement assouvi ma soif de connaissance en ce qui concerne les Etats-Unis pendant la guerre de Sécession. De plus, les acteurs sont brillants : Daniel Day-Lewis est vraiment formidable dans le rôle de Bill le Boucher (quelle que soit sa façon de travailler ses rôles dont on nous parle tant depuis des semaines). Les décors sont exceptionnels et démesurés et certains plans sont sublimes. La réalisation est parfaite : de superbes idées (dignes d'un grand réal... arf, bah c'est normal ça!)
Pour conclure, allez voir Gangs of new York, 3 h de grand cinéma. L'Amérique est définitivement née dans la rue...

Marion

PS: Ne ratez pas le petit clin d'oeil : on aperçoit Martin Scorsese dans une scène où Cameron Diaz pénètre dans une maison pour y voler quelques babioles...


2.
Malgré ses petits défauts, ses trébuchements, son scénario un peu bancal et trop explicatif et quelques aspects commerciaux, Gangs of New York est une superbe démonstration de ce que le cinéma peut apporter à la représentation du monde et de l'histoire, et en plus particulièrement celle de l'Amérique. Nous avons ici le regard personnel d'un artiste sur une période cruciale de l'histoire américaine, celle de la guerre de Sécession, un point de vue original parfaitement documenté et argumenté.

A la différence de tous ses prédécesseurs qui se sont intéressés à cette période, il choisit de localiser son histoire loin des champs de bataille où s'affrontèrent sudistes et unionistes, pour se plonger dans un lieu qu'il connaît bien, la ville de New York, là-même où il a écrit les plus belles pages de son cinéma. Pour ajouter à ce qu'a rappelé très justement Marion, New York, à l'époque, est déchirée sur la question de la conscription. C'est une période particulièrement difficile sur le plan économique et social pour les Etats-Unis, au Sud comme au Nord. Des grèves éclatent, les prix augmentent. Les travailleurs blancs du Nord (les Irlandais en particulier, ce qui contredit un peu l'image qu'en donne Scorsese dans le film) se montrent peu enclins à aller se battre pour les noirs, qui sont en concurrence avec eux pour certains métiers. Les noirs sont aussi employés comme briseurs de grèves. C'est aussi une période où les classes plus défavorisées voient avec colère les riches échapper à la conscription grâce à leur fortune. Les émeutes qui éclatent font près de 400 morts, et seule l'intervention de l'armée unioniste revenant de Gettysburg permet d'y mettre fin.
Scorsese nous offre donc une vision totalement inédite de la période 1840, (puis 1860) de New York, de Tammany Hall, machine politique démocrate qui dominera la ville jusqu'au début du 20ème siècle, n'hésitant pas à avoir recours à la corruption et à la violence. Le quartier des Five Points tel que nous le présente le réalisateur est un lieu de désordre organisé, où le crime et la petite délinquance sont les rois. Le quartier irlandais est une véritable cour des miracles à la Dickens, le mélange des ethnies se fait dans la confusion, le racisme et la violence, une confusion qui fait le jeu des politiciens corrompus. La démocratie, objet constant de fierté outre-Atlantique, n'est que façade : on bourre les urnes des deux côtés, on assassine les candidats élus sans hésiter.

Dans un style baroque ébouriffant (ne pas rater la formidable scène d'ouverture), Scorsese nous plonge dans un univers de démence, de désordre et de violence, dominé de la tête et des épaules par Daniel Day-Lewis, dont on ne saluera jamais assez la performance. Gangs of New York possède aussi un souffle lyrique et historique qui rappelle La Porte du Paradis, un point commun relevé à juste titre par de nombreux critiques : il faut dire le projet de Scorsese remonte à l'époque où fut tourné le chef d'oeuvre maudit de Michael Cimino. Comme lui, il traite des problèmes d'immigration, fondamentaux pour qui veut comprendre la création et l'évolution de l'Amérique moderne, et malheureusement peu traités par le cinéma hollywoodien.

Du coup, ce changement de point de vue aboutit à une image beaucoup plus subversive des Etats-Unis, celle d'une période plus connue pour des faits d'armes et des champs de bataille qui donnèrent naissance au pays moderne que pour la violence, le racisme, les inégalités et la pauvreté qui apparaissent dans le film et que connurent les contemporains de Lincoln. Dans le pays que nous décrit Scorsese (New York concentre évidemment les conflits du pays entier), tout est beaucoup plus diffus, à l'opposition Sud-Nord se substituent des antagonismes et une violence incontrôlée.

Il ne faut pas chercher dans Gangs of New York un souci de réalisme parfait ni d'exactitude historique absolue, il s'agit d'une interprétation de l'histoire qu'il faut aussi analyser au regard de l'Amérique actuelle, alors que les conservateurs tentent de répandre le phantasme d'une union nationale indéfectible pour appuyer leurs désir de guerre. Ce déchaînement de violence est aussi une réponse à ceux qui voudraient récrire l'histoire et la lisser de tout ce qui remettrait en cause le modèle de l'émergence inéluctable d'une nation réconciliée.

Laurent Goualle, vu en 2003 à Pau

PS. : La musique, assez réussie selon moi, s'avère parfois un peu envahissante, comme souvent (tout le termps ?) dans les grosses superproductions américaines actuelles. Les scènes des préparatifs des deux batailles (début et fin) sont accompagnées d'un mélange de traditionnel irlandais (au tin whistle) et de percussions "tribales" fascinantes, exprimant parfaitement l'évolution psycho-sociologique des immigrants irlandais, dont la culture se transforme dans leur nouveau pays, confrontée à la violence et aux luttes tribales.
Notons aussi le traitement des questions religieuses : les Irlandais ont visiblement la sympathie de Scorsese, catholiques comme lui, et il est évident que le réalisateur d'origine italienne s'identifie aux immigrants, confrontés comme ses ancêtres au racisme, aux difficultés de survie, et au protestantisme dominant.

 

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