Goyokin,
l'or du Shogun
Lorsque le Japon sort de la défaite de 1945, son cinéma se retrouve soudain
libéré des contraintes de la censure. Désastre militaire, la défaite est
surtout un choc moral remettant en cause les valeurs propres du pays.
Les cinéastes japonais vont dès lors donner libre court à leur inspiration
regardant sous un autre jour les figures emblématiques du patrimoine culturel
en particulier le personnage du samouraï. A la suite de Kurosawa (Yojimbo,
Sanjuro) et de Kobayashi (Hara Kiri), le divorce entre la figure romantique
du guerrier et l'approche moderne est amorcée.
Gosha apporte une nouvelle pierre à l'édifice en réalisant un chambarra
(film de samouraï) d'une noirceur et d'une profondeur inégalées. L'histoire
se situe à Hokkaido. Menacé de ruine, un clan de samouraï décide de voler
l'or du shogun et de massacrer une communauté de pêcheur unique témoin
de leur action. Magobei samouraï quitte le clan traumatisé par le massacre.
Alors qu'il s'apprête à vendre son sabre il apprend que son clan entreprend
un second massacre.
L'ambiance du film est prenante. Dès la première scène se dégage une atmosphère
de mort et de décadence. Cette mort, Gosha en illustre toutes les formes
: physique pour les pêcheurs (la découverte du village massacré offre
un moment de terreur pure : la figure spectrale des corbeaux est aussi
forte que les Oiseaux d'Hitchcok) ; mentale pour magaobei. Son personnage
rongé par le remord et la désillusion ressemble à un fantôme vengeur vidé
de sa substance. Immortel parce qu'il a tout perdu le jour du massacre,
le samouraï désenchanté est merveilleusement interprété. Le regard fou
et perçant, le visage impassible, Gosha filme le tout avec force détail.
Il faut bien reconnaître que son travail regorge d'invention voir d'inspiration
typiquement western (la joueuse traînée par des cavaliers). L'utilisation
de la neige, de pluie ou des incendies relèvent parfaitement l'intrigue.
L'art de la mise en scène est poussée à son paroxysme (la caméra suivant
les vagues lors de la scène d'ouverture). Le duel final dans la neige,
hommage aux estampes d'Hiroshige, insiste sur le désenchantement de ces
guerriers (scène reprise dans Kill Bill 1 ou
Le Secret de poignards volants).
Toute cette lumière blanche tranche avec la noirceur des samouraïs. Ce
duel symbolise à lui seul tout le travail technique de Gosha. Ce dernier
filme en alternance les combats de sabre et des plans sur des musiciens
jouant au tambour créant ainsi une tension insoutenable (Kitano rend hommage
à cette scène dans son Zatoichi).
Toute cette maîtrise technique sert un propos à la fois anti-militariste
et iconoclaste. Derrière la lutte entre Magobei et son clan se dégage
une métaphore des exactions de l'armée japonaise au cours de la seconde
guerre mondiale. Au nom de l'honneur et d'intérêts financiers, ces soldats
ont embrasé l'Asie. Gosha pointe du doigt la responsabilité des soldats
tant physique que morale. Son film fait mal, malmène le mode de pensée
du Japon. Toucher la figure emblématique du samouraï revient à remettre
en doute toute la morale illusoire du Japon féodal. Le sabre dénué de
conscience est l'antithèse même de l'esprit du Bushido. Chambarra nostalgique
et désenchanté, Goyokin reste un grand classique indépassable.
Hervé
L., vu en 2005
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