Adrien, jeune
lieutenant français ,à peine arrivé sur le front en 1914, est gravement
blessé. Il est sans doute parmi les premiers "Poilus" à obtenir la légion
d'honneur. Sa blessure est particulière: le côté droit de son visage
a été détruit. Il est soigné par un chirurgien "hors du commun" (A.
Dussolier) qui pratique sans doute les premières greffes osseuses de
l'humanité (s'acharne-t-il sur ces patients? ). Notre héros se retrouve
ainsi dans cette salle d'hôpital, réservée aux officiers (on n'ose pas
imaginer le vécu d'un simple soldat, dans les mêmes circonstances).
Il est soigné par une infirmière qui est toute douceur (S. Azéma). Petit
à petit d'autres blessés arrivent, tous compagnons d'infortune, horriblement
atteints au visage. A partir de ce moment le film se centre sur la difficulté
à trouver place dans le regard des autres et une raison d'exister alors
que son visage a perdu ce qui fait de lui un visage d'humain. De quoi
seront faits les rapports à autrui dès demain ? Qu'est-il permis d'attendre
des autres? (même les familles proches éprouvent des difficultés). Une
jeune infirmière a subi le même sort sur le front et Adrien, avec deux
autres compagnons de galère la découvrent un jour, à leur étage: elle
a perdu, comme eux, visage "visible".
1.
Le choix du sujet est éloge à la capacité de l'être humain à résister
au désir de mort. Résistance au laisser-aller moral: "non, il ne faut
pas que je laisse la peur m'envahir": cette phrase revient souvent dans
les réflexions qu'Adrien se fait à lui même. Les images, les couleurs
sont belles, le sujet aussi. Cependant un sentiment d'inachevé et même
d'ennui ont perturbé mon enthousiasme du début de film: nous ne savons
quasiment rien du personnage, nous avons quelques difficultés à nous
y retrouver dans son univers familial, sa vie sentimentale est réduite
à une brève aventure. Il retrouve cette femme d'une nuit, par un hasard
qui semble grandement "téléphoné". La musique (pourtant signée: Arvo
Pärt et Penderecki entre autres) m'a semblé à la limite de l'insipide
(ex: toutes les séquences pour violon et piano ou pour piano seul ).
Une musique en situation de redondance par rapport aux dialogues ou
aux images n'apporte rien: elle m'a agacée. L'idée de ce film est tout
à fait admirable mais la façon dont il a été réalisé l'est, à mon sens,
beaucoup moins.
B.B vu en 2001 en"ciné
club"
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2.
Un brave lieutenant moustachu au passé indéfini est défiguré par une
bombe malencontreuse. A peine entré en guerre le personnage quitte le
monde exterieur pour se retrouver confiné dans l'interieur de "la chambre
des officiers". Inutile de continuer le résumé qui a été parfaitement
écrit par BB. Je n'ai pu m'empêcher dès les premières images
du film de m'évoquer un film qui m'avait secoué à l'époque : Johnny
Got His Gun (film d'un réalisateur dont j'ai scandaleusement oublié
l'identité, je compte sur les partisans acharnés du site pour agiter
ma mémoire défaillante...*). Ce film nous représentait un homme blessé
(très sérieusement puisqu'il ne possédait ni bras ni jambes, ni de faculté
à communiquer par la parole) et qui se retrouvait comme notre héros
dans un chambre avec comme alter ego, une infirmière attentionnée...mais
la comparaison s'arrête bien vite ...Dans "Johnny s'en va t'en guerre"
(titre parfaitement débile trouvé pour la version francaise) le douloureux
calvaire était vécu de l'interieur avec force, le personnage nous faisant
partager son angoisse de sa lutte pour sa survie et de son désir de
mort. La blessure n'est pas la même mais le sujet est très proche. Dans
la chambre des officiers, l'auteur nous décrit volontairement, du moins
je le crois, les personnages avec une neutralité bienveillante. C'est
ce qui rend le film pesant et ennuyeux, A force de discrétion,
nous basculons lentement dans l'incohérence. Ayant abandonné ses personnages
qui errent dans la chambre, le réalisateur hésite entre le film pacifiste
militant et la problématique de la réintégration sociale des hommes
qui reviennent du front. L'effort est louable, certes, puisque ce film
rend hommage à tous ces inconnus qui ont perdu beaucoup d'eux même pendant
ce conflit, mais la réalisation trop appuyée nous fait perdre un souffle,
une force que l'on aurait souhaité pour ce type de sujet.
François G., vu
en 2001
*Dalton Trumbo
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3.
Hier, je suis allée au supermarché avec une amie très proche. Dans les
allées, soudain je me suis immobilisée : passait quelqu'un au masque
figé, déformé, cartonné et rouge. Quand cette personne s'est éloignée,
j'ai vu que c'était une femme également handicapée des jambes. Sur son
passage, tous se figeaient, sans se retourner comme on le fait parfois
malgré soi pour vérifier que ce qu'on croit avoir vu est bien ce qu'on
a vu, sans parler, sans se tourner vers son compagnon ou sa compagne,
comme il est humain de le faire pour parler de ce qui choque. Cette
femme passait et tous se figeaient, sidérés, adultes comme enfants et
elle, elle avançait appuyée sur le chariot qu'elle poussait créant le
silence et l'immobilité sur son passage…
Quel choc, ce masque qui est un visage ! Je n'ai même pas pu ou voulu
en parler à mon amie. Ce qui me ramène à La chambre des officiers.
La chambre des officiers c'est d'abord un livre que Marc Dugain
a écrit à la 1° personne à la mémoire de son grand-père, gravement blessé
au visage, qu'il a souvent accompagné au château des gueules cassées,
et qu'il a défendu en se battant quand ses petits camarades de l'école
le traitaient de monstre. Ce livre est un témoignage, minimaliste, car
il s'étend peu sur les états d'âme, les souvenirs antérieurs ou postérieurs
au drame lui- même. Il se lit avec un immense intérêt, bien que ce ne
soit pas de la littérature.
Le film est fidèle au livre. Nous ne savons rien du jeune homme, de
son passé ni de son avenir. Et ce qui a gêné Brigitte et François fait
pour moi la force du film. Il ne s'agit pas de s'identifier avec Henri
ou Louis et ses amours, sa famille etc , mais justement avec un inconnu,
(ce n'est pas le mort inconnu qu'on pleure, mais le blessé inconnu auquel
on s'identifie seulement dans ce qui fait son drame, dans sa représentation
emblématique de n'importe quel être humain) . Que m'est -il arrivé ?
J'ai mal ("Ne pense pas à la douleur." car elle pourrait envahir et
submerger ) Je sens mes mains, mes pieds, mon corps est intact, je ne
sens pas mes dents, où est mon palais ? …
La découverte lente de ce qui lui est arrivé et de ce qui va être sa
réalité désormais, son visage, la solidarité avec les autres gueules
cassées, le tour de garde qu'ils établissent pour éviter les suicides,
le regard des autres, tout m'a paru juste, passionnant , et ça n'a été
pesant que du poids de ce drame.
Pour moi, la comparaison avec tel ou tel film a ses limites. D'abord
parce que si le sujet était seulement la lutte pour la survie et contre
le désir de mort, ou même la capacité de résistance humaine on pourrait
aller chercher la comparaison dans un éventail beaucoup plus large de
films, et pas seulement, ceux liés à la guerre. Johnny Got his Gun
travaillait, lui, sur une question différente, à mon avis. Quelque chose
comme : " Qu'est-ce qui fait qu'un être humain est ou reste un être
humain, quand il n'a plus aucune fonctionnalité, bouger, agir, faire,
et plus ou pas de possibilité de communiquer ? Pour lui-même , bien
sûr et pour les autres. Et là aussi d'après moi, la question n'est pas
liée à la guerre, il pourrait s'agir d'un accident de voiture. Et l'on
pourrait étendre la question, pas seulement à ceux à qui cela arrive,
mais à ceux qui naissent tels, idiots complets, débiles très profonds,
qu'est-ce qui les rend ou les laisse ou les fait humains ? A ce propos
, j'ai été très touchée par ce qu'écrit Italo Calvino dans " La journée
d'un scrutateur ", un grand petit livre .
La question, dans ce film-ci, pour moi, est plutôt celle de l'image
qu'on a de soi et des autres ou que les autres ont de vous et d'eux-mêmes.
Et là , si on veut comparer , je ferai peut-être appel à Elephant Man.
… Ou plus quotidiennement au rapport que chacun a avec la beauté , la
laideur ou pire, la monstruosité, de soi-même et des autres .
Ce film, s'il n'est pas un chef d'œuvre cinématographique (comme le
livre n'est pas un chef d'œuvre de la littérature) est un beau film,
très humain, très bien joué, qui pose des questions fondamentales et
qui m'a beaucoup touchée, vous l'aurez compris !
Geneviève
B., vu en 2002
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