Laissez-passer
France
Réal. : Bertrand Tavernier
2001

Avec : Jacques Gamblin, Denis Podalydès, Marie Gillain, Charlotte Kady

 

1.
Tavernier, que je respecte comme grand connaisseur du cinéma américain, m'enthousiasme généralement moins dans une partie de ses films, que je trouve trop "écrits" et un peu trop donneurs de leçons (l'appât, Ca commence aujourd'hui...). Le réalisateur lyonnais n'est jamais meilleur que quand il s'écarte de ses grands sujets de société actuels et s'intéresse à l'histoire (encore que Capitaine Conan a par moments le don de m'irriter). On pouvait donc espérer une réussite de ce laissez-passer, dans lequel Tavernier s'intéresse au trajet de deux hommes de cinéma sous l'occupation. Le résultat est mitigé, car le choix de traiter du destin de deux personnages qui ne se croisent qu'à deux ou trois reprises dans le film crée un déséquilibre qui nuit à l'ensemble de l'oeuvre. Il y a deux films en un, ou plutôt un court-métrage (sur Aurenche) et un long (sur Devaivre). Par ailleurs, la mise en scène de Paris sous les bombes n'est pas très convaincante (les figurants s'agitent mal, tout cela fait un peu carton-pâte - est-ce voulu -clin d'oeil au cinéma?). Heureusement que le destin de Devaivre est passionnant, et que les séquences de son périple-éclair en Grande-Brtetagne sont très drôles, et les acteurs épatants. Tavernier et Cosmos retombent hélas parfois dans leurs dialogues trop léchés pour être vraisemblants, et la caméra pourrait souvent éviter de bouger inutilement. Un film un peu bancal, autant passionnant que léthargique...

Laurent G., vu à Pau en 2002

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2.
Complètement d'accord avec Laurent G. sur la construction générale du film je ne reviendrai donc pas longuement dessus :
La caméra et le son nous font du "tournez manège " pendant la 1ère partie du film, les personnages se succèdent à une telle vitesse qu'on n'a même pas le temps de savoir qui ils sont, les épisodes "documentaires" d'époque tombent comme un cheveu sur la soupe, la problématique du résistant communiste est tellement vite évoquée qu'on a l'impression que Tavernier voulait absolument en parler pour qu'on ne lui fasse pas le reproche de l'avoir laissée aux oubliettes.
Il n'a pas fait les choix véritables et sensés pour que son film ait une unité quelconque, les séances de tournage d'époque sont complètement "amateur "( c'était peut-être le cas, mais elles ne sont pas construites de manière à ce que nous nous en rendions compte (en tout cas, si tel était l'effet recherché, pour moi il est raté.)
J'ajouterai cependant quelques précisions :
Je crois que Tavernier avait un réel besoin de transmettre aux générations actuelles que l'intégrité existait aussi dans le milieu du cinéma et qu'elle était d'une grande difficulté à assumer et, pour moi, le message est clair et c'est cela que j'ai retenu du film.

L'objectif de TAVERNIER : une REHABILITATION de la profession
je pense qu'il a voulu réhabiliter le monde du cinéma pendant cette période glauque de l'occupation allemande mais aussi critiquer ce qu'on a fait un peu rapidement à ces gens après la libération.
S'il y a 2 personnages principaux (et Laurent a raison : cela a été mal traité :" il y a 2 films en un " ) c'est parce que Tavernier a voulu montrer qu'il n'y avait que 2 choix possibles (autres que la collabo pure et dure) si on voulait continuer dans cette profession.
Après tout on n'a pas reproché aux boulangers de faire du pain même pour les allemands : exemple donné dans le film.
Je crois aussi qu'en choisissant un scénariste et un assistant réalisateur, Tavernier a montré que toute la profession était touchée dès que l'on avait affaire à des "têtes pensantes" et il nous montre quelque chose que le public ne sait peut-être pas : il nous faut savoir que pour ces gens là "dire NON" était extrêmement dangereux.
Sont- ils si nombreux les boulangers, coiffeurs, épiciers, qui ont refusé de vendre du pain, de couper les tifs ou de vendre une boite de sardines aux allemands ? ?
Qui leur en a fait grief dans l'après -guerre ? PERSONNE: on leur a seulement demandé de ne pas avoir participé à la milice et même s'ils ont dénoncé un ou deux juifs personne ne les a mis au banc des accusés. Or, dans le milieu du cinéma (et des artistes en général) on a souffert et on a été discrédité- parfois à tort pour moins que cela.
Pensons à Cocteau, à Giono(qui ,depuis les horreurs vécues en 14/18 avait revendiqué une prise de position pacifiste et antimilitariste exacerbée parfois extrêmement difficile à défendre, qui n'a jamais dévié de cette voie, envoyant dos à dos les allemands, le régime de Vichy et la résistance mais qui a cependant, sans faire d'acte héroïque, caché des gens et qui a été mis au rang des infâmes après guerre (et pendant de nombreuses années). Pensons aussi à Furtwängler qui fut discrédité pour avoir continué à diriger l'orchestre de Berlin sous le régime nazi (alors qu'il cachait et faisait jouer en catimini (pour leur assurer une subsistance) des musiciens juif. Qui sait cela ?? Menuhin… violoniste juif l'a défendu après guerre comme il avait aidé Bartok, fuyant le nazisme( mais mourant de faim dans son exil aux USA !!! ) qui sait cela ???…
Et qui a-t-on mis à la place de Furtwängler: DEVINEZ donc : Karajan : jeune lieutenant SS ! ! ! BRAVO ( sachez , pour la petite histoire qu'il est impossible de devenir lieutenant SS sans avoir fait ses preuves …dans la réalité concrète cela signifie l'assassinat de ses propres mains )
Et si nous parlions de la grande cantatrice E. Scharzkopf : toute sa biographie, pendant les années nazies, a miraculeusement disparue : elle a, il faut bien le dire épousé un grand bonnet de la " Deutsche Gramophone" bien sponsorisée par ….les alliés .. c'est à dire les USA …) alors : mon Dieu quelques que soient les erreurs cinématographiques de Tavernier : pouvait-il TOUT DIRE !! il a essayé, maladroitement d'en montrer le maximum Laurent a raison, le film est ce qu'il est : un peu raté (dommage) mais il a au moins le mérite de nous obliger à savoir qu'il convient de se poser au moins quelques questions ! (il n'y a pas que du blanc et du noir)

a) L'un des choix possible est représenté par Devaivre : Certes il travaille pour la "Continental " firme gérée par les allemands mais Il fait de l'action de résistance spontanée et sporadique : au coup par coup, Il ne sait même pas vraiment ce qu'il fait ni pourquoi.
Quand il prendra un engagement concret et réel dans la résistance, il changera de milieu social : il s'engagera chez des résistants à la campagne. Je crois que ceci est important pour nous montrer à quel point le milieu des artistes était bien plus muselé que les autres milieux, à cause de leur notoriété : il est parfois préférable d'être un bon anonyme.
C'est Devraivre qui prend l'espace parce qu'il est dans l'action et parce que lorsque l'humour intervient, le temps semble moins long. C'est lui qui était sous les bombardements de Paris (Laurent a raison : c'est peu crédible : quelle mauvaise mise en scène ) c'est lui qui fait du vélo, qui prend l'avion pour l'Angleterre , qui atterrit miraculeusement (c'est bien téléphoné) au bon endroit à son retour.

b) le deuxième choix est celui d'Aurenche : On peut penser que Tavernier s'est davantage occupé du cas Devaivre … éh bien, en minutage, je n'en suis pas si sûre mais effectivement, c'est l'impression qu'on en retire. Pourquoi ? Aurenche trimballe seulement et de manière grotesque, ses valises, ce qui n'est pas un exploit sportif en soi , il ne transporte pas non plus de grenades (enfin : 1 ou 2 : il ne faut pas non plus prendre Devaivre pour un réel résistant avant son véritable engagement…)
Aurenche, lui, passe son temps à changer de lieux et de femmes, à se débrouiller pour résister de manière passive (pour le spectateur, c'est nettement mois marrant).
Je crois que Tavernier nous montre qu'il faut rendre au choix humain qui est celui d'Aurenche toute sa valeur : garder son intégrité d'écrivain, se débrouiller pour éviter toute compromission intellectuelle était aussi un acte de courage même s'il n'avait rien de spectaculaire , certes Aurenche n'est pas Zorro, ce qui lui arrive n'est pas dynamique et c'est peut-être pour cela que Laurent pense que son personnage a été traité à la manière d'un court-métrage.
Que Laurent se rassure, j'ai la même impression que lui, mais, après réflexion, je me dis que c'est parce que ce qui arrive à Devaivre nous a davantage marqué (d'autant que le film s'achève sur sa partie la plus drôle et vivace : l'épisode de réelle aventure, avant, pendant et après l'Angleterre).
Je serai cependant curieuse de savoir si, en temps cinématograghique accordé à chacun , Tavernier n'a pas réservé une sorte de symétrie dont psychologiquement nous n'avons pas conscience. Je reviendrai peut-être sur ce film après le débat organisé au "café-ciné " de mon cinéma de quartier.

VU en VO ( dialogues allemands et anglais non traduits ! ! éh éh c'est vraiment marrant quand on comprend "plus ou moins" les deux langues ) en ciné club 2002 Brigitte Boëdec

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3.
L'univers du cinéma sous l'occupation est la toile de fond que Tavernier veut nous tisser.

Aurenche et Devaivre sont les témoins d'une époque mouvementée dans laquelle ils tentent de trouver les preuves de leur existence ("que dois je faire?") pendant cette période trouble : "faire mon travail sans m'associer de l'environnement, ou au contraire, éviter à tout prix de me mouiller" en intervenant dans un milieu obligatoirement infesté par l'infâme envahisseur nazi.

La construction du film est ambitieuse et les détails ne manquent pas au sujet de cette reconstruction (après réflexion et discussions).

Je commencerai par des choses intéressantes et je finirai par mon avis global sur le film.

Les parcours parallèles de l'assistant réalisateur et du scénariste nous immergent dans cette bouillonnante période.

Nous sommes rapidement au cœur de la problématique, je comprends que Tavernier ait envie d'être le témoin ou, du moins un révélateur d'une certaine mémoire (qui lui est cependant très personnelle ). Celle d'Aurenche et et Devaivre avec certainement beaucoup de précision ont transmis leurs souvenirs et leurs affects respectifs au réalisateur .

Le sujet m'intéresse, mais l'abondance de références, le foisonnement de personnages, l'incessant aller et retour entre les deux personnages principaux nuisent à ce que j'attendais de cette évocation de l'Histoire.

Ce long métrage semble n'être qu'un compte rendu destiné aux cinéphiles ou spécialistes avertis.

Je participe régulièrement aux échanges du "café- ciné" de ma petite commune et, à la suite des discussions auxquelles j'ai participé, je serai tenté de rajouter des points de vue positifs :

Le film est fidèle à la reconstitution de la vie quotidienne à l'époque : l'obsession du manque de nourriture, la difficulté de touver de quoi se chauffer, les vitres peintes en bleu à cause du couvre-feu…etc. Tout ceci a été confirmé par les personnes présentes lors de cette rencontre autour du film.

Ce qui reste, c'est surtout ce que Tavernier a voulu nous transmettre :

A cette époque, il n'était certainement pas facile d'exercer simplement un tel métier, les deux personnages principaux sont jeunes et tentent de trouver une place dans le monde du cinéma habilement phagocyté par l'envahisseur allemand mais tout autant par le régime de Vichy (et même bien avant 1939).

L'artiste, en tant que témoin visible et reconnu dans la vie sociale est davantage sous les feux de la rampe qu'un quidam anonyme. Ceci pose le problème de la possibilité de pratiquer son métier dans le cinéma sans collaborer ni donner l'impression qu'on accepte la prégnance allemande.

J'ai regardé, il y a peu, une émission sur Arte et sur l'engagement des cinéastes pendant cette période trouble et m'a paru clair que l'engagement ainsi que l' organisation structurée de la résistance , ont mis un certain temps à s'élaborer. Les acteurs, quant à eux sont montrés dans le film comme de simples "figurants" du théatre de la vie sous l'occupation . Il y aura peu de menaces à leur encontre et, contrairement aux écrivains, ils n'auront pas à fuir. Ceci est assez bien évoqué dans le film. Pour terminer sur un avis plus global, je retiendrai cette très interessante (et nécessaire) réflexion sur les choix que chacun et plus particulièrement l'artiste (cinéaste) opère lors de la pratique de son art pendant cette période : peut on avoir une opinion tranchée? Quelles sont les limites, le sens de tel ou tel acte?

Le film a le mérite de montrer cette ambiguïté, ce questionnement incessant; qu'aurions nous fait? Entre la peur de disparaître et le désir d'exister ?(dans tous les sens du terme? Les choses ne sont pas si simples et l'errance des personnages, est assez bien restitué, fidèlement alimentée par les souvenirs précis des témoins.

Je suis cependant tenté de dire que le film est décevant, brouillon. Tavernier, trop attaché à reproduire l'essentiel de cet univers (le monde du cinéma de l'époque) multiplie à mon sens les personnages, les dialogues dans sa peur d'oublier le moindre détail. Cela perturbe le récit et la clarté du message, la deuxième partie du film nous apporte un souffle nouveau avec le "recentrage" sur Devaivre et sur son positionnement.

Il reste pour moi un questionnement intéressant, par ailleurs soulevé lors de l'émission de télévision pré-citée : pourquoi en France sommes nous si frileux à évoquer notre histoire dans ses périodes troubles. Yves Boisset faisait justement remarquer qu'aux USA, il fallait moins de temps pour mettre à jour les turpitudes de telle ou telle position d'homme politique important (cf. "Nixon" d'Oliver Stone) alors qu'en France nous ne pouvons même imaginer qu'un réalisateur se propose de relater actuellement l'histoire de Mitterrand dans les détails de sa vie de politicien, preneur de décisions graves (cf la guerre d'Algérie). Il y a 40 ans de cela!

Nous parlons (avec le film de Tavernier) de vicissitudes en temps de guerre, de prises de positions, 60 ans après! Avec le dernier film de Costa Gavras (Amen) nous entrons à nouveau dans une histoire de positionnement…sur un thème différent…à suivre donc

François G, vu au ciné club en 2002