Lost in translation
2004
Réal. : Sofia Coppola
Scén. : Sofia Coppola
Producteurs : Ross Katz et Sofia Coppola
Producteurs associés : Francis Ford Coppola et Fred Roos
Directeur de la photographie : Lance Acord
Avec : Bill Murray (Bob Harris) Scarlett Johansson (Charlotte) Giovanni Ribisi (John Anna) Faris (Kelly)

 

1.
LOST IN TRANSLATION : UN MOMENT D'ANTHOLOGIE DE GRACE ET DE MAGIE NOYE DANS UNE IMPRESSION D'ENNUI.
Je dédie cette quatrième critique aux quelques personnes qui ont traversé ma vie comme des trains dans la nuit, c'est-à-dire trop fugitivement, mais en l'éclairant de tous leurs feux, qui sont toujours là même s'ils ne sont plus là...

"Ca ne dure pas parce que ça ne peut pas durer.
Et c'est beau parce que ça ne dure pas."
Sofia Coppola.

C'était le film qu'il fallait absolument voir... On a l'impression que dans notre univers et à notre époque où l'on évoque l'amour et la sexualité avec une soi-disant libération allant parfois jusqu'à la provocation, la moindre oeuvre qui ose aborder une relation platonique est aussitôt considérée comme sublime...
En son temps, il y avait eu In the mood for love.
Aujourd'hui, il y a Lost in translation.
A chaque fois, des sujets en or, des promesses cinéphiliques qui avaient suscité mon enthousiasme.
A chaque fois, une certaine déception même si je reconnais aux deux films des qualités certaines mais pas l'émotion que j'y attendais.
J'attendais sans doute trop de ces films...
Il ne suffit pas de filmer en gros plan le derrière d'une fille en slip couchée sur un lit pendant de longues minutes interminables pour être une réalisatrice novatrice et géniale. Et je crois que pour communiquer l'ennui de nos personnages perdus dans une ville à démesure humaine (Tokyo by night fascinante comme toutes les mégalopoles), il y a d'autres moyens d'introduire -volontairement ?- des longueurs, des scènes répétitives qui semblent là pour montrer le talent d'un acteur mais qui n'apportent rien à la densité du film.
L'effet de montage alterné de la femme qui lui envoie des messages sans arrêt sur des questions matérielles - ça, c'est plutôt réussi et crédible - puis du jeune mari qui cherche tous les prétextes pour délaisser sa "bien-aimée" est un peu trop appuyé.
Et puis il y a quelques instants réussis où se créent entre eux une complicité, une ambiguïté, une relation trouble à travers un regard, un sourire, une jeune fille transportée dans les bras et bordée dans son lit, deux têtes appuyées l'une sur l'autre comme pour mieux se soutenir et affronter leur solitude... mais, en voulant trop rendre le fugitif et travailler par petites touches, Sofia Coppola n'a pas su rendre l'épaisseur et le cheminement de ce fugitif...Elle n'a pas su préparer la densité de la dernière scène qui est cependant magnifique ! Rien que pour elle, il faut voir le film ! Un moment d'anthologie magique digne des plus grands cinéastes ! Aussi intense que la fin de Voyage en Italie de Roberto Rossellini ! C'est dire !
En plus, on ne s'y attend pas : ils se sont déjà dit au revoir. On croit qu'ils se sont déjà quittés. Il descend de voiture. Et là, vraiment, pour la première fois, Sofia Coppola va prendre le temps de filmer, de s'attarder, de laisser affleurer l'émotion. Il marche longuement dans la foule, se rapproche d'elle qu'on ne voit que de dos... ce n'est pas une autre comme on pourrait le penser. Il la prend, l'embrasse et la serre en lui passant la main dans les cheveux. C'est comme si Sofia Coppola réinventait la scène du baiser au cinéma... Et surtout il lui chuchote quelques mots inaudibles à l'oreille ...et elle sourit... et il s'en va... Suivent des images de panneaux sur des routes qui le conduisent à l'aéroport avec des flèches qui partent dans des trajectoires différentes...
Ces quelques mots, c'est la plus belle phrase du cinéma hollywoodien... Et ce sourire, c'est un beau mystère cinématographique et humain ...la plus grande audace et la plus grande réussite du film !
On a alors l'impression qu'ils ne seront plus jamais ensemble mais qu'ils seront toujours ensemble...

Béatrice A-C., 2004


2.
Je ne peux m'empêcher de réagir à la critique de Béatrice qui, malgré son absolue honnêteté dans la restitution des émotions que lui ont inspiré ce film, oublie, peut-être inconsciemment, un certain nombre de qualités de ce merveilleux Lost in Translation.
Béatrice encense, à juste titre, la dernière scène, éblouissante. Soit. Dans ces ultimes minutes, le film s'éclaire, s'ouvre littéralement, comme une immense bouffée d'oxygène dont on était privé dans l'univers cloisonné et étouffant des intérieurs de buildings japonais. Mais si cette réunion in extremis des deux personnages nous émeut tant, c'est bien parce que la réalisatrice a réussi à faire exister les deux héros, un travail quasi invisible tout au long du film, un travail en "petites touches" subtiles auquel j'ai été sensible. C'est le visage de Bill Murray, qui trimbale son désespoir tranquille du bar au sauna en passant par la salle de gym ; c'est celui, pur, de Scarlett Johansson, ange délaissé ; c'est cette atmosphère feutrée et faussement protectrice des grands hôtels, merveilleusement éclairée par Lance Acord.
Les longueurs du film, les répétitions servent à distiller un ennui, un isolement et ce confinement qui participeront du rapprochement des personnages. C'est aussi parce que tout cela existe que le film s'ouvre si merveilleusement à la fin.
Tous ces éléments font que ce couple improbable vit à l'écran. Ce qui n'est d'abord qu'une façon de tromper l'ennui prend peu à peu une densité, tout en restant toujours indéfinie : de la simple connivence créée par les circonstances entre deux êtres que tout pourrait séparer, on passe doucement, à travers de furtives rencontres, d'échanges de regards, de conversations, à une tendresse quasi filiale (ou paternelle), puis à quelque chose de plus fort, qui restera de l'ordre du non-dit.

Lost in Translation ne peut donc, à mon sens, se résumer à une fin géniale : c'est un tout où chaque élément produit du sens. Et si un doux ennui point par moments, c'est pour mieux laisser la place à une intimité passionnante qui s'achève en apothéose.

Laurent G., 2004


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