NE DIS RIEN : L'EMOTION
A L'ETAT PUR.
Je dédie cette critique à mon amie Chantal qui est venue m'accompagner
voir ce film.
J'ai une pensée émue pour Marie Trintignant...
On sait qu'on va nous parler de violence conjugale, qu'il va y avoir des
scènes terribles à vous faire froid dans le dos, que c'est un sujet grave
qui cache une réalité à la fois atroce et trop banale :six femmes espagnoles
meurent chaque mois des coups de leur mari ; quatre en France...vérité
affligeante qu'on voudrait ne pas croire tant elle est abominable !
On peut croire qu'il s'agit d'un film engagé à thème. Mais Ne dis rien
est bien autre chose même s'il est aussi cela.
C'est un film à l'émotion rare et pure car c'est aussi un film d'amour.
Il est déroutant et effrayant de voir ces deux êtres dans une communion
totale, dans une sensualité extrême, dans une complicité rare s'aimer.
Dans quelques très belles scènes (celle où il lui demande de lui donner
chacune des parties de son corps), ils font figure d'amants éternels,
de couple idéal. Et pourtant, la peur de l'émergence de cette violence
sourd de partout... On se dit qu'ils pourraient être si heureux... C'est
ce qu'ils vont croire et l'un et l'autre... Le film, c'est ce rêve-là
et, un instant, on y croirait presque ; on voudrait tellement y croire.
Quand le film commence, Pilar s'enfuit de nuit avec son enfant chez sa
soeur pour fuir son mari Antonio qui l'a envoyé plusieurs fois à l'hôpital
à force de la violenter. La réalisatrice nous épargne ces scènes-là pour
nous montrer la peur et l'angoisse de Pilar qui la dévore (sublimement
interprétée par Laia Marull) car le coeur du film, c'est la tentative
de reconstruction de ce couple. C'est aussi donner un visage humain et
un statut de malade à celui qui est aussi monstrueux, mais qui par moments
peut nous convaincre ou nous émouvoir quand il veut guérir, quand il essaie
de récupérer celle qu'il aime même s'il l'aime mal parce qu'il l'aime
trop, parce qu'il ne parvient pas à la dissocier de lui-même, à lui laisser
sa liberté, à la laisser exister. On suit pas à pas ses progrès, mais
aussi ses régressions ; je dirais même qu'on les subit parce que, malgré
tout et évidemment, on s'identifie au personnage féminin de Pilar, aussi
émouvante quand elle est fille, soeur, épouse , mère et tout simplement
femme, prisonnière de tous ses rôles, de toutes ses relations qui l'empêchent
d'une certaine façon d'être elle-même. Et le film, c'est aussi et surtout
la re-naissance d'une nouvelle femme à la vie qui va se découvrir à travers
l'art qu'elle découvre... Il y a cette phrase magnifique que prononce
l'héroine deux fois à la fin du film après le constat de leur échec, après
une scène insoutenable : "Il faut que je me voie. Il faut que je me voie."
Toute la détresse de cette femme est contenue ici. Et l'émotion nous étreint
alors une fois de plus comme lorsqu'elle lance sa robe de mariée qui reste
suspendue à un fil électrique et qu'elle crie à sa mère en la suppliant
de ne pas la toucher, comme lorsqu'Antonio lui offre un livre d'art ou
va la voir au musée et qu'il la découvre si belle mais si loin de lui,
dans un autre univers, comme lorsqu'elle se fâche avec sa soeur le jour
du mariage de celle-ci prise entre son amitié sororale et son amour qui
la ramène dans les griffes de celui à qui elle pardonne trop facilement,
comme lorsqu'elle lui lit son petit carnet et qu'ils comprennent que la
rage et la peur apportent les mêmes sensations insupportables...et puis
d'autres scènes, d'autres détails qui font de ce film une réussite totale.
C'est un film dont on ne sort pas indemne. C'est un film dont on sort
plus fort. C'est un film dont on sort grandi.
Béatrice
A-C. 2004. .
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