Pianiste (La)
2001
Autriche/France
Michael Haneke
d’après le roman de Elfriede Jelinek : La Pianiste
Grand Prix du Jury ~Prix d’interprétation féminine et masculine. Cannes, 2001

 

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Erika Kohut, professeur de piano au conservatoire de Vienne, est réputé pour son extrême sévérité. Elle vit avec sa mère possessive et se réfugie dans ses obsessions sado-masochistes. Elle tombe amoureuse d'un de ses étudiants et lui propose une relation un peu particulière.

1.
Très impressionné par Benny's Video, vu récemment, je me suis rendu à la séance de la Pianiste avec une grande curiosité. Allais-je retrouver la froideur extrême et le regard sans concession du réalisateur ? Résultat plutôt mitigé : la pianiste souffre à mon avis du mélange des genres : entre la réalisation "hanekienne" et l'adaptation littéraire, le film ne semble pas vraiment trouver sa voie, malgré l'excellence des acteurs (Huppert n'est jamais aussi performante que dans ce type de rôles). Même si Haneke jongle habilement sur le fil du grotesque et du pathétique, on a du mal à croire à cette entreprise finalement un peu "guindée" (si le mot est approprié) destinée à choquer le bourgeois (Aaah !!! Huppert sado-maso !!).
Pas de quoi fouetter un chat en porte-jarretelles.

Laurent G., vu en 2001*
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*Je reviendrai peut-être sur ce film après avoir vu d'autres films de Haneke.


2.
Je ne connais pas Haneke : je n'ai vu aucun autre de ses films. Je me demande ce qui a pu le pousser à réaliser un tel film : doublement, triplement... mille fois ambigu. J'ai axé mon analyse sur 3 volets, mais les pistes sont multiples et inextricables.

1 er volet : une vision juste et sans concession : le monde du conservatoire
Erika n'est pas un professeur " sévère", elle est tout simplement le prototype du professeur de conservatoire : initiée elle même à " sacrifier " sa vie émotive pour se "consacrer" à " conserver " (conservatoire) les émotions du compositeur - mort- à qui elle a voué ( on pourrait dire "telle une Vestale" ) la totalité de son être : de chair et de sang, mais aussi son mental et sa capacité à être un animal social et amoureux ! ! On parle plusieurs fois de " sacrifice", dans le film et ce sont des mots de mères et de de filles Huppert est remarquable d'authenticité dans le rôle du professeur : face aux élèves, face aux mères d' élèves, face à ses collègues ( scène du concours d'entrée ). Dans le rôle du professeur : tout est juste : les petites remarques assassines, l'indifférence notoire quand elle regarde par la fenêtre, l'intrusion moralisatrice dans l'intimité du jeune lecteur de revue porno, la capacité de déstructurer en peu de mots et peu de temps l'univers émotif de chacun de ses élèves. Qui a vécu l'univers du conservatoire ne peut manquer de retrouver ce vécu destructeur dans la tonalité feutrée de la voix du professeur qui a le bon goût de ne jamais sortir de ses gongs. Si on se demande pourquoi le jeune Walter a gardé sa santé, sa jeunesse, son humour, son énergie insouciante, son équilibre émotif, son entière liberté de penser et de parler comme cela lui chante, la réponse se trouve dans le film (scène du concours : le jury signale qu'il n'a fréquenté aucun conservatoire, il n'a suivi que des cours particuliers) Sobriété d' Isabelle dans son rôle de pianiste, où on la voit si peu ( scène de la répétition du trio de Schubert ) alors que c'est le titre du film : cette ambiguité n'en est peut-être pas une. Ses play- back de pianiste sont remarquables (rien à voir avec E. Béart qui avait été encensée pour son jeu de " pseudo violoniste" dans " Un coeur en hiver" En règle générale, tous les play-back de pianistes y compris ceux des élèves sonnent juste, j' ai même pris la peine de vérifier (sur l'une des séquences du clavier en plongée) si les accords "vus" étaient bien les accords "entendus" : la réponse est OUI
ambiguité de la relation professeur / mère d'élève : Il faut noter l'absence du père : c'est à la mère du lecteur de revue porno qu'Erica a l'intention de s'adresser, c'est la mère d'Anna qui gère la carrière de la jeune pianiste comme a été gérée celle d'Erika Cette adulation des mères pour le professeur est pur réalisme dans ce milieu, il est possible que les nombreuses images du clavier en plongée en soit la symbolique (d'autant qu'à chaque fois il s'agit d'un clavier diminué , étriqué ... à l'image de ce qui reste de sensibilité personnelle d' Erika) Ambiguité de la relation Erika /Anna qu'est ce qui motive l'assassinat des mains d'Anna?
Plusieurs interprétations sont possibles, parmi lesquelles :
-Anna a été " décoincée" de son trac par Walter ( jalousie de la femme vieillissanre qu'est Erika ? )
-Anna , décoincée a peut-être touvé le chemin d'une interprétation libérée : celle des véritables grands interprètes ? jalousie d'Erika envers celle qui est ainsi devenue une réelle rivale ( "la pianiste " du titre du film , c'est peut-être Anna ? )
-Erika réalise-t-elle le fantasme de sa mère : " j'aurais mieux fait de te couper les mains " ? ( sous- entendu : si l'une de tes élèves joue mieux que toi )

2ème volet : les relations méres -filles
dès le début du film , on a le sentiment que ce volet sera au coeur de la problématique de Haneke. A mon sens il y a perte de substance , malgré la remarque judicieuse d'Erika à la mère d'Anna sur la notion de " sacrifice" , et quelques efforts concentrés sur la violence et le sordide (scènes des gifles et surtout la scène dans le lit )

3ème volet :la sexualité "entre sang et vomi"
Je ne sais pas très bien ce qui conduit Erika à cet état de perversion... Est- ce à cause de la relation qu'elle entretient avec une mère dévastatrice, l'absence de la polarité masculine dans sa vie (il semble que son père soit fou ... lien à Schumann et non à Schubert, curieusement évoqué lors de l'entracte chez la tante de Walter) l'absence de toute vie sociale (scène de l'ascenseur) ? Le film semble basculer dans le sordide mais, à mon sens il ne sombre pourtant pas dans l'artillerie lourde du mauvais goût C'est peut-être un film destiné à ne jamais sortir du questionnement ? Sacrifice ou vie " consacrée" à la musique ? sadisme ou douleurs incommensurables dêtres dépossédés de leurs émotifs personnels ? sensibilité musicale exacerbée ou mal gérée ? perte de tout contact avec sa propre humanité par inaptitude à refuser de se laisser phagocyter ?

En conclusion
A la fois lourd, à la limite du mauvais goût, ce film de Haneke ne nous empèche pas de rire, d'être choqué, et même d'avoir une immense tendresse pour ces personnages qui sont tous en souffrance. En tous cas, il ne permet pas d'être figé dans une analyse simple et unique, il fait partie des films qui ont dans leurs tiroirs des interprétations sans fin.

B.B, vu en 2001
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3.
La pianiste est pour moi un film déroutant, non pas par son histoire mais par les chemins que le réalisateur entend nous emmener pour décrire l'univers de son personnage. Erika c'est une Amélie Poulain qui n'a pas choisi sa névrose. Je trouve le film puissant et il me plonge néanmoins dans une perplexité grandissante. je n'ai pas réussi à me faire un avis "cadenaçé" sur le film, on ne peut pas sortir de la séance en se disant, c'était bien, pas mal, etc... on discute beaucoup autour du film, du moins pour moi. pourquoi ? peut être parce que l'on a du mal a cerner LA problématique du film, la question qui tue : mais qu'est ce que le réalisateur a-t-il bien voulu montrer?
Tout autour de la description du personnage peut concourir à nous donner des explications sur le pourquoi du mystère Erika...En fait en écrivant ces lignes je pense que finalement le réalisateur nous donne pendant tout le film des clés autour de son personnage et principalement sur l'origine de sa névrose. A nous de nous faire une opinion...la fin du film nous en donne par ailleurs une illustration. Pourquoi ? j'argumente....Tout d'abord les univers d'Erika sont traités selon moi sur un même niveau: le conservatoire , si justement et parfaitement retransmis, entre la déshumanisation et le sacrifice. L'univers familial si pervers, entre l'absence d'un père supposé fou et une mère "absorbante" et obsédée. Son rapport "social" complétement effacé ou quand il existe est marqué au fer rouge d'une violence perverse. Rien ne nous indique pourtant que c'est l'un plus que l'autre qui sont à l'origine du dérangement dont nous retrouvrons la description parfois comique, tragique dans la deuxième partie du film. La problématique s'intensifie quand le personnage nous livre ses contradictions dans ses réactions; elle bat sa mère puis l'embrasse , pleure veut coucher avec elle....dans son rapport avec Anna l'une de ses élève à qui elle "assassine les mains" (expression de Brigitte B) et à qui elle manifeste de l'émotion, ou elle (peut être) se reconnaît?, dans on rapport avec Walter (son élève amoureux)) avec lequel elle "joue" puis accepte d'être jouée, l'aime finalement...Ce film est avant tout une introspection , à la lumière de ce personnage si déroutant,qui nous entraine sans concession et avec une vérité de description tout fait remarquable de la névrose du personnage. Tout cela pour que nous tentions de répondre à la question : pourquoi est- elle comme cela?

François G., vu en 2001
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