Je ne connais pas Haneke : je
n'ai vu aucun autre de ses films. Je me demande ce qui a pu le pousser
à réaliser un tel film : doublement, triplement... mille fois ambigu.
J'ai axé mon analyse sur 3 volets, mais les pistes sont multiples et inextricables.
1 er volet : une
vision juste et sans concession : le monde du conservatoire
Erika n'est pas un professeur " sévère", elle est tout simplement le prototype
du professeur de conservatoire : initiée elle même à " sacrifier " sa
vie émotive pour se "consacrer" à " conserver " (conservatoire) les émotions
du compositeur - mort- à qui elle a voué ( on pourrait dire "telle
une Vestale" ) la totalité de son être : de chair et de sang, mais
aussi son mental et sa capacité à être un animal social et amoureux !
! On parle plusieurs fois de " sacrifice", dans le film et ce sont des
mots de mères et de de filles Huppert est remarquable d'authenticité dans
le rôle du professeur : face aux élèves, face aux mères d' élèves, face
à ses collègues ( scène du concours d'entrée ). Dans le rôle du professeur
: tout est juste : les petites remarques assassines, l'indifférence notoire
quand elle regarde par la fenêtre, l'intrusion moralisatrice dans l'intimité
du jeune lecteur de revue porno, la capacité de déstructurer en peu de
mots et peu de temps l'univers émotif de chacun de ses élèves. Qui a vécu
l'univers du conservatoire ne peut manquer de retrouver ce vécu destructeur
dans la tonalité feutrée de la voix du professeur qui a le bon goût de
ne jamais sortir de ses gongs. Si on se demande pourquoi le jeune Walter
a gardé sa santé, sa jeunesse, son humour, son énergie insouciante, son
équilibre émotif, son entière liberté de penser et de parler comme cela
lui chante, la réponse se trouve dans le film (scène du concours : le
jury signale qu'il n'a fréquenté aucun conservatoire, il n'a suivi que
des cours particuliers) Sobriété d' Isabelle dans son rôle de pianiste,
où on la voit si peu ( scène de la répétition du trio de Schubert ) alors
que c'est le titre du film : cette ambiguité n'en est peut-être pas une.
Ses play- back de pianiste sont remarquables (rien à voir avec E. Béart
qui avait été encensée pour son jeu de " pseudo violoniste" dans " Un
coeur en hiver" En règle générale, tous les play-back de pianistes y compris
ceux des élèves sonnent juste, j' ai même pris la peine de vérifier (sur
l'une des séquences du clavier en plongée) si les accords "vus" étaient
bien les accords "entendus" : la réponse est OUI
ambiguité de la relation professeur / mère d'élève : Il faut noter l'absence
du père : c'est à la mère du lecteur de revue porno qu'Erica a l'intention
de s'adresser, c'est la mère d'Anna qui gère la carrière de la jeune pianiste
comme a été gérée celle d'Erika Cette adulation des mères pour le professeur
est pur réalisme dans ce milieu, il est possible que les nombreuses images
du clavier en plongée en soit la symbolique (d'autant qu'à chaque fois
il s'agit d'un clavier diminué , étriqué ... à l'image de ce qui reste
de sensibilité personnelle d' Erika) Ambiguité de la relation Erika /Anna
qu'est ce qui motive l'assassinat des mains d'Anna?
Plusieurs interprétations sont possibles, parmi lesquelles :
-Anna a été " décoincée" de son trac par Walter ( jalousie de la femme
vieillissanre qu'est Erika ? )
-Anna , décoincée a peut-être touvé le chemin d'une interprétation libérée
: celle des véritables grands interprètes ? jalousie d'Erika envers celle
qui est ainsi devenue une réelle rivale ( "la pianiste " du titre du film
, c'est peut-être Anna ? )
-Erika réalise-t-elle le fantasme de sa mère : " j'aurais mieux fait de
te couper les mains " ? ( sous- entendu : si l'une de tes élèves joue
mieux que toi )
2ème volet : les
relations méres -filles
dès le début du film , on a le sentiment que ce volet sera au coeur de
la problématique de Haneke. A mon sens il y a perte de substance , malgré
la remarque judicieuse d'Erika à la mère d'Anna sur la notion de " sacrifice"
, et quelques efforts concentrés sur la violence et le sordide (scènes
des gifles et surtout la scène dans le lit )
3ème volet :la sexualité
"entre sang et vomi"
Je ne sais pas très bien ce qui conduit Erika à cet état de perversion...
Est- ce à cause de la relation qu'elle entretient avec une mère dévastatrice,
l'absence de la polarité masculine dans sa vie (il semble que son père
soit fou ... lien à Schumann et non à Schubert, curieusement évoqué lors
de l'entracte chez la tante de Walter) l'absence de toute vie sociale
(scène de l'ascenseur) ? Le film semble basculer dans le sordide mais,
à mon sens il ne sombre pourtant pas dans l'artillerie lourde du mauvais
goût C'est peut-être un film destiné à ne jamais sortir du questionnement
? Sacrifice ou vie " consacrée" à la musique ? sadisme ou douleurs incommensurables
dêtres dépossédés de leurs émotifs personnels ? sensibilité musicale exacerbée
ou mal gérée ? perte de tout contact avec sa propre humanité par inaptitude
à refuser de se laisser phagocyter ?
En conclusion
A la fois lourd, à la limite du mauvais goût, ce film de Haneke ne nous
empèche pas de rire, d'être choqué, et même d'avoir une immense tendresse
pour ces personnages qui sont tous en souffrance. En tous cas, il ne permet
pas d'être figé dans une analyse simple et unique, il fait partie des
films qui ont dans leurs tiroirs des interprétations sans fin.
B.B, vu en 2001
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