Pianiste (Le)
(The Pianist)
2002
2H28
couleurs
Réal. : Roman Polanski
Scén. : Ronald Harwood, Roman Polanski, d'après les mémoires de Wladyslaw Szpilman.
Avec: Adrien Brody, Thomas Kretschmann

Palme d'Or du festival de Cannes 2002

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Varsovie, 1939. Pianiste de talent d'origine juive, Wladyslaw Szpilman voit son existence et celle de sa famille bouleversées par l'invasion de la Pologne par les allemands. Epargné par un des chef de la police du ghetto de Varsovie, où les juifs sont parqués, il échappe de justesse à la déportation, mais assiste au départ de sa famille pour les camps. C'est le début d'une lutte désespérée pour une survie qui ne tient qu'à un fil.

1.
Quinzième long-métrage de Roman Polanski, Le pianiste se présente d'abord à nos yeux comme une reconstitution historique à grand spectacle, organisée autour d'une histoire très linéaire (les mémoires du pianiste Wladyslaw Szpilman, qui vécut dans le ghetto de Varsovie). On craint au départ que la pesanteur du projet ne vienne diluer dans l'entertainment un sujet aussi délicat que celui du sort des juifs pendant la seconde guerre mondiale.
Or il n'en est rien, et Polanski, revenant sur les traces de son enfance (il fut un des ces petits rats du ghetto qui apparaissent à plusieurs reprises dans le film), réussit un coup double :
Il sait d'abord admirablement susciter toutes les questions liées à cet événement dramatique de l'histoire. Le pianiste est un film où l'on ne cesse de réfléchir, de s'interroger, de se révolter, partagé entre la colère et l'incompréhension devant le spectacle de la violence infinie. Pourquoi cette haine ? Pourquoi cette absence de révolte ? Comment peut-on nier l'humanité à ce point ? Pourquoi Szpilman réussit-il à survivre, et pas un autre ? Qu'aurait-on fait à sa place ? Sans jamais souligner outrageusement ces thèmes, ne retenant que le regard subjectif du pianiste, sans jamais héroïser ce dernier (travers dans lequel Spielberg était tombé dans La liste de Schindler), Polanski suscite autant l'émotion que la réflexion.
Puis, mine de rien, en filmant la réclusion forcée de son personnage principal, le réalisateur renoue avec les thèmes du Locataire, de Rosemary's Baby, ou encore de Répulsion : Il suit pas à pas, de très près, la trajectoire du musicien, sa quête quasi muette, presque animale (kafkaienne ?) de la survie*. L'enfermement progressif du héros (dans le ghetto, puis dans d'étroits appartements) le mène au bord de la folie, mais le sauve en même temps d'un monde tout aussi terrifiant, dont la menace gronde sans cesse derrière la porte close. Hors du temps (il échange sa montre contre de la nourriture) Szpilman assiste à sa fenêtre à la guerre et aux massacres. Il n'en sortira que pour découvrir une ville totalement détruite, dernière vision d'apocalypse. Polanski a ainsi trouvé dans l'itinéraire de ce musicien une image de l'enfermement qui hante une partie de son oeuvre, et cette rencontre est passionnante.
Voici en tout cas un des films les plus accomplis qu'il nous ait offerts depuis longtemps. Il méritait à coup sûr un prix cannois.

Laurent Goualle vu au Méliès, à Pau, en 2002

*D'autres critiques ont invoqué Dostoïevski et Shakespeare...


2.
Le Pianiste
est un film d'une grande sincérité, un film troublant et bouleversant... C'est une oeuvre magistrale de sobriété (désarmante même) : il y a beaucoup de pudeur et pas de voyeurisme malsain (on ne tombe dedans à aucun moment). Il n'y a ni violons ni scènes mélodramatiques : le but n'est définitivement pas de tirer des larmes au spectateur, pas de nous faire pleurer sur la souffrance des juifs polonais dans la 2de Guerre Mondiale, il va plus loin que ça... Adrien Brody est excellent : il parvient à faire passer toute l'émotion et la sensibilité du personnage (prestation remarquable). Ce que j'ai trouvé intéressant dans ce film, c'est surtout le fait que le personnage principal ne soit à aucun moment présenté comme héros : il subit, c'est tout (ce qui est relativement rare dans les films qui traitent de la 2de Guerre Mondiale). Les évènements nous apparaissent comme au personnage : soudains, brutaux, déchirants, absurdes... On serre les poings d'impuissance. De plus, le plan qui nous amène dans les ruines du ghetto de Varsovie est inoubliable, ce film est une grande beauté visuelle! Pour conclure, ce film est un véritable chef d'oeuvre, et c'est la 1ère fois que la majorité des spéctateurs de mon cinéma sont restés assis jusqu'à la fin du générique...

Marion, vu en 2002


3.
Une intervention longue qui n'est pas adaptée à une lecture sur un écran d'ordinateur. D'autre part le meilleur a déjà été écrit par Laurent et Marion, il s'agit de retrouver les mêmes pistes à partir d'autres éléments (pour un film qui s'appelle " le Pianiste " il est peut être intéressant de faire ce détour par les oreilles ??? )

La sobriété ressentie par Marion est quelque chose de précieux, elle est également fil conducteur du monde musical de ce film. Mon avis diverge cependant de celui de Marion sur un point (mais je comprends tout à fait son point de vue : il n'y pas de violon mélo !!) le violon est très présent, objet visuel et objet sonore, le père est violoniste, plusieurs scènes font référence à l'instrument, y compris celle où, après avoir servi de table ultime pour la famille : découpage du caramel sur la boite du violon mise à l'envers !!! l'instrument est arraché au père ; d'autre part les violons émergent justement du tissu musical " off " de manière stratégique, progressive et inexorable, tout au long du film jusqu'à atteindre un son à la limite du supportable (violon solo). Ceci est développé plus loin.
Je m'attendais ( à cause du titre du film, de la personnalité et de la " profession " de Szpilman) à être submergée par la musique de piano, là aussi la sobriété est de mise.
Le point de " vue " musical de ce film mérite qu'on s'y attarde.
Le compositeur : W.Kilar est né en 1932, il est l'un des plus grands compositeurs polonais actuel, élève de Nadia Boulanger.. ce qui est loin d'être anodin, il a mis avec une immense modestie, ses talents de compositeur au service du film (il a également signé les musiques de : " le Roi et l'Oiseau " et de " Dracula " de F.F.Coppola) Il est rare de rencontrer une telle sobriété dans l'écriture d'un compositeur pour le cinéma. Il ne s'impose même pas dans les génériques (début et fin), laissant la place à Chopin.
On peut examiner avec attention ses choix dans le dispositif instrumental ( présence, absence des instruments) et dans le traitement du matériau musical. C'est une lorgnette possible pour l'analyse et l'interprétation du film. Si elle vous intéresse, bonne lecture.


ANALYSE MUSICALE


1)Les musiques " off "
Dans ce film, on ne sent pas qu'il y a une " musique de film " elle est pourtant présente à des moments très stratégiques :

a) Le thème des cordes : quelques exemples (mais le film en foisonne) Sa 1ère intervention passe quasiment inaperçue : les cordes graves (dans les graves extrêmes) lorsque se construit le mur entre le ghetto et le reste de Varsovie. Une mélodie qui n'arrive pas à se dégager, elle ne prendra d'ailleurs toute sa puissance (augmentation du volume) et ne se révèlera dans son ampleur (extension vers les aigus) qu'au moment de l'insurrection du ghetto. C'est une mélodie en sons conjoints, c'est à dire sans grands écarts entre les notes qui se succèdent, des valeurs longues sans rythmes caractéristiques (d'où sa discrétion) elle ne dégage ses aigus aux violons que progressivement, au fil du film et avec la révolte des juifs du ghetto. Après cet épisode, le violon tiendra d'ailleurs une note aiguë et insupportable dans sa durée qu'on peut tout à fait assimiler à un bruitage : elle a d'ailleurs un lien acoustique sérieux avec le sifflement qui concrétise la surdité momentanée de Szpilman* lors de l'explosion de l'immeuble où il est enfermé. D'autres interprétations sont possibles pour cette note aiguë qui agresse l'oreille : folie, victoire de l'absurde, vacuité de sens ….
(*petite traduction : le nom de famille du pianiste " Szpilman " est prononcé comme le mot allemand Spielmann : " l'homme qui joue ")

b) Une deuxième musique " off " elle passe aussi quasiment inaperçue : la clarinette seule (Toujours avec sobriété mais stratégie).
Elle est associée longuement à l'image de Szpilman en noir, vu de dos, marchant dans les ruines de Varsovie (comme un insecte ? un rat ?…) Il ne s'agit pas de la 1ère apparition de ce thème, mais il est traité plus longuement dans cette scène.
Sans aucune sorte d'accompagnement (en terme technique on appelle cela "à nu") la clarinette joue son thème dans le grave, solitude extrême pour un instrument monodique qui a besoin du soutien harmonique d'autres instruments (à l'inverse du piano qui se satisfait à lui même).
Ce thème " off " renvoie bien évidemment aux images de désolation de la ville détruite, à la solitude de l'homme, mais aussi à la solitude du musicien sans musique et sans partenaires. Contexte à la fois musical, social et humain : ne pas oublier que la clarinette est un instrument traditionnel de la musique juive de groupe (musiques de fête et musiques nostalgiques). Son timbre lui permet à la fois des sonorités envoûtantes et goguenardes : la clarinette peut être très proche de l'éclat de rire humain et la musique traditionnelle juive l'exploite volontiers dans ce registre (absent dans le film, il nous manque, quand on connaît la musique populaire juive).

2) les musiques "in"

Que dire des cuivres : ils ne sont présents qu'à la fin du film, la caméra s'attarde longuement sur ces instruments dans l'orchestre (nous avons tout loisir de goûter de leur forme arrondie et de leur éclat : plaisir visuel) il s'agit des cors.
Une interprétation possible : les cuivres sont associés au triomphe, à la fête populaire.. les cors, plus particulièrement sont associés à une symbolique bucolique, nécessairement absente dans un tel film. Logique et stratégie fine dans le choix et l'emploi des instruments. Le compositeur n'utilise même pas les trompettes guerrières pour les allemands (il aurait pu le faire) Il n'y a pas non plus de percussions exacerbées, qui induisent et accentuent souvent le côté dramatique d'une action (sobriété et économie dans le dispositif instrumental)
Le violoncelle seul
Extrait d'une suite de Bach (et clin d'œil à la clarinette seule de la musique " off ") Il n'y a pratiquement pas de répertoire pour violoncelle seul (les " partita " de Bach pour violoncelle seul constituent une exception) Le choix de cet instrument n'est pas anodin, petit rappel : le timbre du violoncelle est considéré comme le timbre le plus proche de la voix humaine…(scène du réveil de Szpilman chez son amie violoncelliste)…. à chacun de vivre sa propre interprétation !
Quant au violon (outre l'orchestre de musique populaire qui en comporte un) nous entendons de lui (en sons "in") quelques pizz : sons brefs, cordes pincées sans l'archet, comme s'il ne pouvait plus s'exprimer avec sa puissance naturelle, déjà mutilé d'une partie de lui même mais… nous sommes dans l'appartement des Szpilman, en début de film, les pizz ont encore la possibilité de nous faire croire à une intervention humoristique dans la famille (ambivalence volontaire pour l'interprétation de ces pizz : le fameux humour juif est cité, il ne sera bientôt plus possible)
La contrebasse, son rôle est d'assurer la stabilité, elle est la base sonore sur laquelle tout l'orchestre (le collectif) s'appuie et s'épanouit, nous en voyons une dans le studio de la radiot, début de film, mais elle est muette, personne n'en joue dans le monde " classique " et professionnel de Szpilman, il joue d'ailleurs une œuvre pour piano seul. : les pistes d'interprétations sont ouvertes en ce début de guerre…Elle est pourtant bien présente dans la musique " off "
La musique populaire juive :
3 instruments sont associés : violon, clarinette, contrebasse (+ l'accordéon) le compositeur les utilisera à d'autres moments du film ( sans cette association). Ici, même si les musiciens jouent ensemble, le contexte n'offre que misère individuelle dans la communauté (mise en abîme du décalage son / images) Il n'y a rien de gai dans ce groupe de musiciens (hormis la musique qu'ils jouent et que nous ne ressentons même pas comme telle car elle passe totalement au second plan). Cette musique aurait pu être beaucoup plus signifiante (il existe dans ce répertoire musical traditionnel des pièces de danses beaucoup plus caractéristiques) il est évident que le choix est visuel et scénique : préfiguration des orchestres de déportés dans les camps de concentration, les personnages qui dansent sont volontairement des caricatures et c'est eux qui retiennent toute notre attention.
La musique de piano
A la fois musique " off " et " in " les pièces pianistiques de Chopin encadrent le film en son début et au moment du générique de fin, une subtilité : à la fin du film, il s'agit d'une œuvre pianistique avec orchestre (or Chopin a essentiellement écrit pour " piano seul " très peu pour l'orchestre). L'orchestre est un " collectif " au service de la musique, du soliste s'il y en a un et dans cette scène qui achève le film (très long générique) le piano n'est pas seul, il est soliste…grande nuance. Elle mérite qu'on s'y attarde, il y a multiples pistes et couches d'interprétations possibles (musicales, humaines… voire politiques : la lecture du livre de Szpilman autorise d'ailleurs cette piste, ses démarches et déboires auprès des autorités communistes de l'après-guerre pour sauver l'officier allemand)
Chopin
Evidemment Chopin est incontournable pour un pianiste professionnel , il est de surcroît d'origine polonaise mais il ne s'agit pas seulement de cela, il est intéressant de se référer à ce que Schumann (compositeur allemand) dit au sujet de certaines pièces de Chopin : " des canons cachés sous des fleurs ". On se demande tout au long du film où Szpilman puise son énergie pour survivre, pourtant, dès le début, alors qu'il interprète justement une œuvre de Chopin, son jeu pianistique nous le révèle, (l'expression de son visage également : scène de l'explosion dans le studio de la radio, début de film ).
L'évolution de la vie pianistique de Szpilman pendant sa survie :
Il joue sur des pianos concrets, puis au dessus du clavier sans toucher l'instrument (nous sommes déjà préparés à ce que le " son " trahisse sa présence dans l'appartement et c'est ce qui arrivera, mais de manière absurde) enfin, il joue sans clavier : progression dans l'absurde. Nous avons là un moment rare, fugitif pour comprendre que cet homme, peu expansif, est réellement habité par la musique (discrétion du cinéaste : c'est à nous de nous en rendre compte) Derniers épisodes : retour au jeu pianistique concret (l'officier allemand, la boîte de conserve) et scène finale dans la salle de concert.

Que savons nous du musicien? Il commençait à composer (début de film) pourquoi a-t-il cessé ? que savons nous de cet homme ? de l'humain en général ? Autant de questions qui font écho à celles de Laurent.

Brigitte Boëdec


Après une 2ème vision du film " le pianiste ", voici quelques précisions.
-Chopin encadre ce film : " un nocturne " au début, " la Grande Polonaise Brillante " à la fin -La sonate pour piano " clair de lune " de Beethoven apparaît au moment où le héros est dans sa toute dernière " planque " ? il sera sauvé, cette fois ci, par un allemand.
Corrections de mes erreurs visuelles : j'ai vu des contrebasses qui n'existaient pas !!! fantasmes ? (cf ma 1ère analyse de ce film)
dans le studio d'enregistrement après la guerre, il n'y a qu'un empilement de chaises… vides, pas de contrebasse.
dans l'orchestre populaire qui fait danser les juifs, il n'y a que 3 instruments et la contrebasse n'en fait pas partie (contrairement à ce que veut l'usage) la sonorité de ce passage est d'ailleurs particulièrement acide à cause de cette absence de basse.

BB, déc 2002


4.
Toi qui es tranquillement assis sur ta chaise, depuis 3 heures à la recherche d'un site porno : je n'ai pas envie de jouer le rôle du tyran mais même si tu n'es pas motivé pour aller voir "Le pianiste", tu sauras qu' on n'est pas obligé d'avoir comme passe temps favori l'analyse de film qui prend 300 pages (je ne vise personne!!) pour aller le voir. Au contraire des films de guerre où les méchants sont les allemands et les gentils les américains, où on est plongé dans le corps d'un super soldat patriotique qui au passage nous sort 2-3 morales pourries sur sa vie, on vit tout simplement la guerre avec les yeux de la victime, après tu considères tes problèmes avec un peu plus de recul.

Nils

 

 

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