Punch-Drunk Love
Etats-Unis
Production: Joanne Sellar / Ghoulardi Film Co
Réalisation et scénario : Paul Thomas Anderson
Montage: Leslie Jones
Photo: Robert Elswit
Musique: Jon Brion
Durée: 1h31
Avec : Adam Sandler (Barry Egan), Emily Watson (Lena Leonard), Philip Seymour Hoffman (Dean Trumbell), Luis Guzman (Lance), Mary Lynn Rajskub (Elisabeth)

 

1.
J'ai adoré ce film, mais vous pourriez ne pas apprécier. C'est bizarre, imaginatif, frais, dérangeant, loin des nullités commerciales formatées, drôle sans pour autant ressembler au splastick hystérique auquel Adam Sandler nous a habitué jusqu'ici. Bien sûr il y a des passages un peu idiots. Mais c'est un film d'un humour noir traversé par de multiples couleurs. Un rêve récurrent qui reste là à me trotter dans la tête, comme s'il avait profondément marqué une partie de mon esprit, à l'image du vieux piano usé mystérieusement livré aux aurores, au début du film.
Punch-Drunk Love traite de personnages qui sont autant de produits créés par ce monde étrange qu'est l'Amérique contemporaine, au milieu des décors de semi-remorques, de larges entrepôts servant de bureaux, de supermarchés et de couloirs d'immeubles. Le personnage principal, Barry Egan, victime de l'affection envahissante de ses sept sœurs, est un homme normal en apparence ; il possède sa propre entreprise, et pour lui les choses semblent aller bien, même si elles pourraient aller mieux. En réalité cet homme est une véritable bombe à retardement, mystérieux, fragile et violent. Sa petite amie est une charmeuse dont le doux accent british respire la délicatesse, l'inquiétude, la vulnérabilité et l'humanité. Sa présence pourrait bien changer la vie de Barry.
Ce film est aussi une sorte de quête de l'innocence, des instincts et de l'amour dans un monde blasé. On y est aimé malgré ses défauts : que l'on casse les toilettes d'un restaurant dans un accès de rage soudaine, que l'on soit obsédé par le pudding et les promotions commerciales pour grands voyageurs ou que l'on porte un costume de représentant bleu vif.
Les couleurs du générique de début et la rengaine de la berceuse au piano évoquent le monde imaginaire de l'enfance, entre les fissures d'une société moderne aux allures d'entrepôts, un enfer déshumanisé ; cet univers violent, kitsch, laid et générateur de névroses est lézardé par les rêves fragiles, hésitants et torturés de quelques personnages "vrais", authentiques.
Ce petit film fascinant pourrait bien vous toucher profondément.

Andrew F. (traduit de l'Américain)
version originale : cliquez ICI


2.
Paul Thomas Anderson a écrit ce rôle en pensant à Adam Sandler, et ça se voit! Je ne connaissais que très peu Sandler, et je ne me souvenais de lui que dans cette comédie niaise que j'ai vu il y a quelques années : Big Daddy. Grâce à Punch-Drunk Love, je me suis aperçue qu'Adam Sandler a, en fait, un vrai potentiel et est parfait pour ce rôle totalement déjanté de Barry.
A noter qu'Emily Watson est aussi parfaite pour son rôle, et les rôles secondaires (pour la plupart des non-professionels : 4 des 7 soeurs ont réellement un lien de parenté dans la " vraie" vie, et les 4 frères blonds sont eux-aussi de vrais frères) sont joués à la perfection.
PT Anderson nous montre comment, autour de 3 "thèmes" (un harmonium trouvé dans la rue, une collection de puddings, et un costard bleu immetable), on peut obtenir une oeuvre décalée et poétique. Avec Punch-Drunk Love, PT Anderson réinvente la rencontre d'amour improbable. Punch-Drunk Love est loufoque, parfois absurde, tout le temps dingue. Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu de film aussi délirant, et j'avais oublié le bien que ça procure ! Adam Sandler joue le rôle d'un gars apparemment bien dans sa vie, et posé, ... mais "bouffé" par l'omniprésence et les incursions dans sa vie privée de ses 7 soeurs étouffantes. Mais on nous épargne l'analyse de comptoir approfondie du type paumé : il est comme ça et puis c'est tout! Pour conclure, je pense qu'il n'y a pas de demi-mesure pour ce film : soit on adore, soit on désteste. J'ai adoré, est-ce utile de le préciser ? Punch-Drunk Love est un film frais, léger, intelligent et drôle : si vous faites l'effort de rentrer dedans, vous en ressortirez heureux...

Marion

PS : Petite anecdote pour ceux que ça intéresse : j'ai lu quelque part que l'histoire de la collection de puddings est une histoire vraie. Un homme que l'on appelle "Pudding Man" a vraiment existé : il a acheté plus de 12000 pots de pudding Healthy Choice, pour collectionner les coupons et gagner ainsi plus de 2 millions de km en avion, pour seulement 3000 dollars!


3.
J'aimerais abonder dans le sens des deux précédentes critiques en insistant sur un point de ce film qui a pu dérouter certains spectateurs et qui, à mon avis, lui apporte toute son originalité : sa noirceur latente. En effet, comme l'a bien montré Andrew, il ne manque pas grand chose pour que cette comédie tourne au drame. La fragilité du héros, que l'on sent sans cesse dans un état border line, et dont les explosions de violence effrayent (relayées par la violence extérieure de la société, surgissant en de brèves explosions sonores ou visuelles*) n'est pas seulement un ressort comique. Elle ouvre aussi la porte à d'autres appréciations du film, à savoir une peinture minimaliste mais assez terrifiante (voire kafkaïenne - aïe vais-je trop loin ?) de la société américaine et de ceux qui la peuplent (je renvoie ici aux développement d'Andrew sur les décors).
Sans que l'on ait quelque explication que ce soit sur les raisons du trouble du héros (Marion nous dit joliment qu'aucune "analyse de comptoir" de la personnalité du héros ne nous est proposée), son déséquilibre latent gêne, met le spectateur mal à l'aise, ce dernier ne pouvant vraiment s'identifier à cet être étrange. L'utilisation de la musique et du bruit en général ajoutent au malaise, avec de véritables explosions sonores qui m'ont fait font sursauter à plusieurs reprises. Hormis la comptine qu'évoque Andrew, d'autres musiques plus stressantes accompagnent le héros, en particulier à chaque fois qu'il pénètre sur son lieu de travail, et participent à la richesse inquiétante de cet environnement hostile auquel il doit faire face. Sa violence à peine contenue est certes, une réaction naturelle face à cet environnement, mais elle fait aussi partie intégrante du fragment de l'Amérique qui nous est décrit ici. Contrairement à ce que certains critiques avancent, on voit bien que les effets de mise en scène (très voyants il est vrai) n'ont absolument rien de gratuit. P. T. Anderson a réalisé ici un conte de fées moderne très simple, mais aussi très évocateur, lueur romantique et colorée** dans un monde terne et clinique.

Laurent Goualle, vu à Pau en 2003

*Ajoutons sur ce point que P.T. Anderson aime que surgisse l'incongru dans ses films. Le hasard, le télescopage d'événements sans lien apparent étaient déjà au centre de Magnolia.
**Les effets de contrejour (mentionnés plus bas par Nicolas P) évoquent joliment la romance qui se noue entre les personnages, créant par exemple, lors de la première rencontre entre Barry et Lena, un spectre de lumière colorée entre les deux personnages.


4.
Petite intervention sur Punch-Drunk Love, en réaction notamment aux critiques précédentes...
Je trouve ce film tout sauf léger mais plutôt inquiétant et vénéneux. Le cadrage de la caméra (gros plans sur visages névrosés, plans fixes alternant avec images floues suivant le mouvement des personnages, l'utilisation des éclairages en contrejour, les troubles obsessionnels compulsifs (je viens d'apprendre ce terme donc j'en profite !) des héros, le décalage entre la facade qu'ils affichent et la violence de leurs émotions qui se traduisent par une série d'actes gratuits très violents (même l'achat des puddings ou la recherche de l'appartement de sa belle est violent !)... créent une atmosphère décalée et inattendue qui n'est pas sans rappeler les univers de Lynch en moins esthétisant.
Ma première impression a été de ne pas avoir aimé ce film car je le trouvais très dérangeant et gratuit... "c'est un bon sous-Lynch mais sans plus"... : à mon avis il manque l'univers onirique et l'image, et le décalage nécessaire à l'humour où l'ironie n'est pas vraiment présente, car en tant que spectateur on a parfois un peu l'impression d'être pris en otage des personnages qui sont imprévisibles et pas très attachants, ainsi que du champ de vision réduit de la caméra qui nous plonge directement dans l'action et crée un sentiment de claustrophobie et de danger permanent (cf. le décalage entre les couloirs de l'immeuble de la petite amie du héros, les espaces vides de l'entrepot ou dès que le champ de vision s' éloigne un peu l'environnement devient menaçant -la route où est posé l'harmonium, les camions...etc). Par exemple je ne me rappelle pas avoir vu une seule fois un plan sur un paysage ouvert ce qui permettrait de relâcher un peu la tension (tout est fermé, même la plage que l'on voit de nuit ...).
Donc, un film qui a un certain impact mais à mon avis pas si original que ça et surtout plutôt gratuit (comme cette remarque d'ailleurs !). Mais je tempère mon jugement car avec du recul, je m'aperçois que ce qui m'a dérangé finalement c'est cette histoire de coupons voyages sur les puddings... après 5 ans d'achat compulsif de danone au caramel je viens de m'apercevoir que j'aurai pu faire quelque chose de grand dans ma vie et voyager à travers le monde si j'avais eu un peu plus de jugeote... argh monde cruel...

Nicolas P., vu en 2003

 

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