Signes
(Signs)
Etats-Unis
2002
Réalisation et scénario : M. Night Shyamalan
Photo : Tak Fujimoto
Musique : James Newton Howard
Genre : Fantastique
Avec : Mel Gibson, Joaquin Phoenix, Cherry Jones, Rory culkin

 

1.
Trois films seulement et déjà une étiquette colle à la peau de M. Night Shyamalan : l'homme qui, avec trois fois rien, réalise des longs-métrages inquiétants, angoissants, qui parfois (disons-le clairement) foutent les jetons et nous font toujours cogiter et ce bien après la projection du film. Son dernier film ne déroge pas à la règle.

Au fin fond d'un comté campagnard américain, des événements bizarres se produisent; le pasteur Graham Hess (Mel Gibson), ses deux enfants et son frère en sont les principaux témoins. D'étranges symboles composés dans les champs de maïs, des chiens devenus fous et menaçants, des bruits de pas sur le toit de la ferme et autant d'autres signes mystérieux et sans explications dérangent le quotidien de cette famille typiquement américaine, récemment endeuillée (la mère est décédée). Que se passe t-il? Qui agit ainsi?

La grande force de M.Night Shyamalan est qu'il réussit avec une économie de moyens à inquiéter le spectateur (comme le vent faisant bouger les feuilles de maïs, le tintement omniprésent des carillons et l'obscurité oppressante). Une ambiance réellement angoissante appuyée par une réalisation lente où les plans sont longs et souvent fixes - ce qui est rare dans le cinéma hollywoodien. Ainsi, le film ressemble plus à un long-métrage fantastique des années cinquante, tels que ''Invasion of the Body Snatchers" ou "Des monstres attaquent la ville", qu'à une méga-production récente du style "Independance day". Ceux qui aiment les effets spéciaux pyrotechniques et tape-à-l'oeil risquent d'être déçus. Souvent dans "Signes" on sursaute, le coeur battant la chamade et les ongles de sa voisine plantés dans la cuisse. Par petites touches, Shyamalan sème la peur et réussit à effrayer le spectateur.

Cependant tout n'est pas aussi bon que cette fantastique ambiance donnée au film.

Ce pasteur ne cesse de penser à la mort tragique et accidentelle de sa femme au point d'en perdre la foi. L'action principale du film est parfois coupée dans son élan par un flash-back laborieux où l'on assiste à l'agonie de la femme du pasteur (en plein climax du film, dans une toute dernière scène, on se retrouve plongé en plein flash-back! Etrange car cela enlève tout suspense à la dite séquence). Les événements contre lesquels doit lutter Graham Hess lui permettront de retrouver sa foi perdue : et le gros problème du film se situe ici. Face à l'ennemi venu d'on ne sait où (mais en tout cas pas des Etats-Unis!) il faut lutter tous ensemble, toute la famille réunie. Ces évènements permettront de reserrer les liens affectifs (affligeante scène du dernier repas familial avant l'attaque extraterrestre tant redoutée : ces lamentations sont-elles vraiment utiles?) et de ressortir vainqueur d'un adversaire qui ''gaze'' ses victimes.
Ce film a des relents nationalistes nord-américains post-11 septembre. ''Regardez chers concitoyens, tous ensemble, alors inquiétés par de mystérieuses forces étrangères, nous pouvons nous en sortir victorieux si nous luttons tous ensemble contre l'ennemi'', tel peut être le message de propagande de ce film de studio. Certes, nous pouvons remarquer ce genre d'idées dans d'autres films US. Ceci dit, ''Signes'' est une des plus grosses sorties cinématographiques de l'après-septembre 2001 qui traite d'une menace étrangère envahissant le monde.

Il ne me semble pas que j'extrapole en disant tout cela. Il est aussi vrai que les grands films fantastiques ont toujours été réalisés en réaction d'une peur collective : ''Godzilla'' exprimait la peur de la bombe atomique chez les japonais, ''Invasion of the Body Snatchers''* exprimait une crainte de voir sur le territoire américain progresser l'idéologie communiste... et les exemples sont encore nombreux, je ne peux pas tous les énumérer. Ceci dit, on s'étonne presque que les créatures de ''Signes'' ne portent pas de barbes!

Johan K. ''Signes", vu à Pau, oct.02.
*
Invasion of the Body snatchers / L'invasion des profanateurs de sépultures, Don Siegel, 1956


2.
Je suis globalement d'accord avec la critique de Johan, j'aimerais néanmoins apporter mon grain de sel concernant les points positifs et négatifs de Signes qu'il souligne à juste titre.
Tout d'abord, j'ai moi aussi été sensible au talent de metteur en scène de Shyamalan, et à sa capacité à distiller la peur par petites touches. On peut ajouter à cela sa manière inimitable de filmer les enfants. Du petit héros du Sixième sens, aux enfants de Mel Gibson dans Signes, il donne à tous ses petits personnages une inquiétante étrangeté : dotés malgré eux de pouvoirs sensoriels qu'ils ne comprennent pas et maîtrisent encore moins, ils restent un mystère constant pour le spectateur, et participent de l 'atmosphère terrifiante parfaitement distillée par le réalisateur. Au premier, au second plan, et même hors-champ, leur présence ou leur absence fait augmenter la pression, et ils sont une des clés de l'angoisse, comme l'étaient les enfants dans Les autres d'Alejandro Amenabar ou dans Les Innocents de Jack Clayton.

Quant aux points négatifs, outre ce qui a déjà été dit, il me semble que Shyamalan, auteur de ses scénarios, tombe dans ce qui commence à ressembler à un travers : le grand-guignol. Depuis deux films, ses scénarios ont tendance à tourner en eau de boudin. Incassable, qui était un hommage à un certain type de super-héros, m'avait laissé un sentiment mitigé. Malgré de belles qualités, on avait un peu tendance à pouffer en apprenant la véritable identité de Bruce willis et de Samuel Jackson à la fin. Ici, cela empire : en effet, il s'agit, comme Johan l'a souligné, d'une référence aux "films fantastiques d'invasion" des années cinquante. Mais franchement, après un tel suspense, une telle mise en scène, on aimerait que tout cela débouche sur autre chose de plus consistant, de plus mystérieux, voire d'un peu plus philosophique que cette résolution psychologico-spirituo-grand-guignolesque et cet extra-terrestre pitoyable.
A l'image de beaucoup de scénarios de films américains actuels (cf. celui du dernier Spielberg), Signes est désespérant par sa conclusion. Tout est parfaitement lisse, parfaitement clair, il ne faut surtout pas qu'on ait le moindre doute sur quelque élément de l'intrigue que ce soit. On nous sert donc une fin mécanique, dénuée de toute originalité, d'insolite et d'ouverture, une insulte à l'imagination du spectateur.

Enfin, sur la question du message et de la propagande, j'aimerais apporter un bémol à la critique précédente. Il faut toujours se méfier, surtout en ce qui concerne le cinéma américain, quand on évoque ses "messages". J'ai peut-être moi même tendance à tirer des conclusions un peu rapides. Pour ce qui est de Signes, il est vrai qu'il a été réalisé dans un contexte socio-historique assez particulier : une Amérique frileuse et soumise à une psychose de peur. Néanmoins, je trouve qu'il est trop facile de conclure que ce film soit de la propagande. C'est plus compliqué que cela. Si l'on se réfère, comme Johan le fait, aux films des années cinquante, il est vrai que la prolifération à l'époque des films de science-fiction était une expression de la peur du communisme, mais il n'y avait pas que des films de propagande, fort heureusement. L'exemple de Invasion of Body Snatchers est à ce point de vue très éclairant : Don Siegel, le réalisateur, n'a jamais prétendu faire une œuvre de propagande anticommuniste. Il n'y a qu'à lire les interviews réalisées à l'époque pour s'en convaincre. Il s'en prenait surtout à l'uniformisation de la société et l'endormissement des esprits, et critiquait aussi l'Amérique. Bien sûr, dans le contexte de la guerre froide, on a pu l'interpréter comme un film anticommuniste. Il est vrai qu'indirectement, il mettait en valeur le climat paranoïaque de l'époque.
Je pense que le cinéma en général, et hollywoodien en particulier, sans être un pur reflet de la société qui le produit, est un excellent révélateur de l'état d'esprit, des angoisses, des phantasmes qui ont cours dans le pays ; il exprime aussi les idéaux et les valeurs de l'Amérique ; il subit évidement l'influence du mode de production, des enjeux financiers, parfois du pouvoir politique, mais rien n'est jamais simple, et il faut agir prudemment avant de tirer des conclusions sur la teneur des "messages" distillés.. Je ne pense pas, par exemple, qu'un cinéaste comme Shyamalan soit aux ordres d'un W. Bush. Bien sûr, dans son film, la famille vient à bout de l'intrus, bien sûr il y a Mel Gibson (souvent présent dans les films clairement patriotiques), bien sûr il y a menace d'invasion (mais L'Amérique craint-elle vraiment une invasion à l'heure actuelle ?), mais cela tient plus d'un clin d'œil à un genre ancien que du message de propagande. On pourra éventuellement y voir une référence à la peur bien actuelle d'une menace invisible pesant sur le pays. Mais il est encore trop tôt pour en faire le représentant d'un nouveau genre de cinéma incitant directement à la guerre contre le terrorisme international.

Laurent Goualle, vu à Pau en octobre 2002

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