1.
Trois films seulement et déjà une étiquette colle à la peau de M. Night
Shyamalan : l'homme qui, avec trois fois rien, réalise des longs-métrages
inquiétants, angoissants, qui parfois (disons-le clairement) foutent
les jetons et nous font toujours cogiter et ce bien après la projection
du film. Son dernier film ne déroge pas à la règle.
Au fin fond d'un comté campagnard américain, des événements
bizarres se produisent; le pasteur Graham Hess (Mel Gibson), ses deux
enfants et son frère en sont les principaux témoins. D'étranges symboles
composés dans les champs de maïs, des chiens devenus fous et menaçants,
des bruits de pas sur le toit de la ferme et autant d'autres signes
mystérieux et sans explications dérangent le quotidien de cette famille
typiquement américaine, récemment endeuillée (la mère est décédée).
Que se passe t-il? Qui agit ainsi?
La grande force de M.Night Shyamalan est qu'il réussit avec une économie
de moyens à inquiéter le spectateur (comme le vent faisant bouger les
feuilles de maïs, le tintement omniprésent des carillons et l'obscurité
oppressante). Une ambiance réellement angoissante appuyée par une réalisation
lente où les plans sont longs et souvent fixes - ce qui est rare dans
le cinéma hollywoodien. Ainsi, le film ressemble plus à un long-métrage
fantastique des années cinquante, tels que ''Invasion of the Body Snatchers"
ou "Des monstres attaquent la ville", qu'à une méga-production récente
du style "Independance day". Ceux qui aiment les effets spéciaux pyrotechniques
et tape-à-l'oeil risquent d'être déçus. Souvent dans "Signes" on sursaute,
le coeur battant la chamade et les ongles de sa voisine plantés dans
la cuisse. Par petites touches, Shyamalan sème la peur et réussit à
effrayer le spectateur.
Cependant tout n'est pas aussi bon que cette fantastique ambiance donnée
au film.
Ce pasteur ne cesse de penser à la mort tragique et accidentelle de
sa femme au point d'en perdre la foi. L'action principale du film est
parfois coupée dans son élan par un flash-back laborieux où l'on assiste
à l'agonie de la femme du pasteur (en plein climax du film, dans
une toute dernière scène, on se retrouve plongé en plein flash-back!
Etrange car cela enlève tout suspense à la dite séquence). Les événements
contre lesquels doit lutter Graham Hess lui permettront de retrouver
sa foi perdue : et le gros problème du film se situe ici. Face à l'ennemi
venu d'on ne sait où (mais en tout cas pas des Etats-Unis!) il faut
lutter tous ensemble, toute la famille réunie. Ces évènements permettront
de reserrer les liens affectifs (affligeante scène du dernier repas
familial avant l'attaque extraterrestre tant redoutée : ces lamentations
sont-elles vraiment utiles?) et de ressortir vainqueur d'un adversaire
qui ''gaze'' ses victimes.
Ce film a des relents nationalistes nord-américains post-11 septembre.
''Regardez chers concitoyens, tous ensemble, alors inquiétés par de
mystérieuses forces étrangères, nous pouvons nous en sortir victorieux
si nous luttons tous ensemble contre l'ennemi'', tel peut être le message
de propagande de ce film de studio. Certes, nous pouvons remarquer ce
genre d'idées dans d'autres films US. Ceci dit, ''Signes'' est une des
plus grosses sorties cinématographiques de l'après-septembre 2001 qui
traite d'une menace étrangère envahissant le monde.
Il ne me semble pas que j'extrapole en disant tout cela. Il est aussi
vrai que les grands films fantastiques ont toujours été réalisés en
réaction d'une peur collective : ''Godzilla'' exprimait la peur de la
bombe atomique chez les japonais, ''Invasion of the Body Snatchers''*
exprimait une crainte de voir sur le territoire américain progresser
l'idéologie communiste... et les exemples sont encore nombreux, je ne
peux pas tous les énumérer. Ceci dit, on s'étonne presque que les créatures
de ''Signes'' ne portent pas de barbes!
Johan K. ''Signes", vu à Pau,
oct.02.
*Invasion of the Body snatchers / L'invasion des profanateurs
de sépultures, Don Siegel, 1956
2.
Je suis globalement d'accord avec la critique de Johan, j'aimerais néanmoins
apporter mon grain de sel concernant les points positifs et négatifs
de Signes qu'il souligne à juste titre.
Tout d'abord, j'ai moi aussi été sensible au talent de metteur en scène
de Shyamalan, et à sa capacité à distiller la peur par petites
touches. On peut ajouter à cela sa manière inimitable de filmer les
enfants. Du petit héros du Sixième sens, aux enfants de Mel Gibson
dans Signes, il donne à tous ses petits personnages une inquiétante
étrangeté : dotés malgré eux de pouvoirs sensoriels qu'ils ne comprennent
pas et maîtrisent encore moins, ils restent un mystère constant pour
le spectateur, et participent de l 'atmosphère terrifiante parfaitement
distillée par le réalisateur. Au premier, au second plan, et même hors-champ,
leur présence ou leur absence fait augmenter la pression, et ils sont
une des clés de l'angoisse, comme l'étaient les enfants dans Les
autres d'Alejandro Amenabar ou dans Les Innocents de Jack
Clayton.
Quant aux points négatifs, outre ce qui a déjà été dit, il me semble
que Shyamalan, auteur de ses scénarios, tombe dans ce qui commence à
ressembler à un travers : le grand-guignol. Depuis deux films, ses scénarios
ont tendance à tourner en eau de boudin. Incassable, qui était
un hommage à un certain type de super-héros, m'avait laissé un sentiment
mitigé. Malgré de belles qualités, on avait un peu tendance à pouffer
en apprenant la véritable identité de Bruce willis et de Samuel Jackson
à la fin. Ici, cela empire : en effet, il s'agit, comme Johan l'a souligné,
d'une référence aux "films fantastiques d'invasion" des années cinquante.
Mais franchement, après un tel suspense, une telle mise en scène, on
aimerait que tout cela débouche sur autre chose de plus consistant,
de plus mystérieux, voire d'un peu plus philosophique que cette résolution
psychologico-spirituo-grand-guignolesque et cet extra-terrestre pitoyable.
A l'image de beaucoup de scénarios de films américains actuels (cf.
celui du dernier Spielberg), Signes est désespérant par sa conclusion.
Tout est parfaitement lisse, parfaitement clair, il ne faut surtout
pas qu'on ait le moindre doute sur quelque élément de l'intrigue que
ce soit. On nous sert donc une fin mécanique, dénuée
de toute originalité, d'insolite et d'ouverture, une insulte
à l'imagination du spectateur.
Enfin, sur la question du message et de la propagande, j'aimerais apporter
un bémol à la critique précédente. Il faut toujours se méfier, surtout
en ce qui concerne le cinéma américain, quand on évoque ses "messages".
J'ai peut-être moi même tendance à tirer des conclusions un peu rapides.
Pour ce qui est de Signes, il est vrai qu'il a été réalisé dans
un contexte socio-historique assez particulier : une Amérique frileuse
et soumise à une psychose de peur. Néanmoins, je trouve qu'il est trop
facile de conclure que ce film soit de la propagande. C'est plus compliqué
que cela. Si l'on se réfère, comme Johan le fait, aux films des années
cinquante, il est vrai que la prolifération à l'époque des films de
science-fiction était une expression de la peur du communisme, mais
il n'y avait pas que des films de propagande, fort heureusement.
L'exemple de Invasion of Body Snatchers est à ce point de vue
très éclairant : Don Siegel, le réalisateur, n'a jamais prétendu faire
une œuvre de propagande anticommuniste. Il n'y a qu'à lire les interviews
réalisées à l'époque pour s'en convaincre. Il s'en prenait surtout à
l'uniformisation de la société et l'endormissement des esprits, et critiquait
aussi l'Amérique. Bien sûr, dans le contexte de la guerre froide, on
a pu l'interpréter comme un film anticommuniste. Il est vrai qu'indirectement,
il mettait en valeur le climat paranoïaque de l'époque.
Je pense que le cinéma en général, et hollywoodien en particulier, sans
être un pur reflet de la société qui le produit, est un excellent révélateur
de l'état d'esprit, des angoisses, des phantasmes qui ont cours dans
le pays ; il exprime aussi les idéaux et les valeurs de l'Amérique ;
il subit évidement l'influence du mode de production, des enjeux financiers,
parfois du pouvoir politique, mais rien n'est jamais simple, et il faut
agir prudemment avant de tirer des conclusions sur la teneur des "messages"
distillés.. Je ne pense pas, par exemple, qu'un cinéaste comme Shyamalan
soit aux ordres d'un W. Bush. Bien sûr, dans son film, la famille vient
à bout de l'intrus, bien sûr il y a Mel Gibson (souvent présent dans
les films clairement patriotiques), bien sûr il y a menace d'invasion
(mais L'Amérique craint-elle vraiment une invasion à l'heure actuelle
?), mais cela tient plus d'un clin d'œil à un genre ancien que du message
de propagande. On pourra éventuellement y voir une référence à la peur
bien actuelle d'une menace invisible pesant sur le pays. Mais il est
encore trop tôt pour en faire le représentant d'un nouveau genre de
cinéma incitant directement à la guerre contre le terrorisme international.
Laurent
Goualle, vu à Pau en octobre 2002
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