Barber (The)
Etats-Unis
The Man Who Wasn't There
Réal. : Joel Coen
2001

Avec : Billy Bob Thornton, Frances Mc Dormand, Michael Badalucco, james Gandolfini, Anne Borowitz, Tony Shalhoub...

 

1.
Après un précédent film (O' Borther, where Art Thou ?) un peu décevant, les frères Coen reviennent en force avec cet excellent Man Who wasn't There. La mise en scène inimitable est ici réglée au millimètre, maîtrisée de manière tout à fait époustouflante. Chaque plan est magnifique, chaque mouvement de caméra est empreint d'une grâce infinie (le film, comme la caméra, semble constamment se mouvoir). Le scénario et le choix esthétique du noir et blanc (une merveille), nous replongent dans l'atmosphère du Film Noir des années quarante : l'inspiration touche à la fois Assurance sur la mort et Boulevard du crépuscule : Billy Bob Thornton ne commence pas le film noyé dans la piscine, mais sa voix-off est, comme celle de william Holden dans le film de Wilder, celle d'un mort. A ce point de vue, on ne peut que saluer les acteurs : Thornton, Mc Dormand, Gandolfini, la fraîche anne Borowitz et le formidable avocat interprété par Tony Shalhoub.
Les Coen mêlent donc leur univers à celui du film de genre : un personnage en décalage par rapport au monde et à la société se retrouve pris dans un engrenage qu'il a lui-même créé dans le but d'exister, de sortir du néant. Le résultat est quasi-parfait, lisible, avec cependant un bémol : (1) l'engrenage développé par le scénario est plus ou moins bien ficelé, et (2) j'ai eu du mal à me passionner pour un personnage il est vrai troublant mais fantômatique, transparent. il faut dire aussi que j'ai vu le film à 22H30. Et puis, j'ai naturellement un faible pour les comédies (ou comédies noires) des frères Coen (Arizona Junior, The Big Lebowski, Fargo), genre le mieux adapté, à mon humble avis, à leur mise en scène que les films plus graves, comme celui-ci. Il reste qu'ils ont parfaitement mérité le prix de la mise en scène à Cannes (ex-aequo avec Lynch).

Un petit mot sur les passages de tribunal : O, joie suprême pour l'amateur de cinéma judiciaire que je suis, les frères Coen nous gâtent avec de (trop courtes) scènes de procès, où ils s'amusent, entre autres, des principes du genre. en effet, dans The Man Who Wasn't There, le tribunal est un lieu de manipulation absolue orchestrée par le personnage de l'avocat, figure centrale du procès. Ce génial manipulateur, l'une des des plus belles figures de juriste vus depuis longtemps au cinéma, à la fois odieux et brillant, tient le procès entre ses mains. tant que l'accusé alimente la pompe financière et assure les dépenses inconsidérées de son défenseur, ce dernier s'occupe du reste et "garantit" l'innocence, s'adaptant efficacement à tous les changements de tactique et se moquant bien de la culpabilité ou de l'innocence de son client.
Lors des scènes d'audience, la technique de la caméra-jury* met particulièrement bien en valeur cette omnipotence du juriste : le spectateur est à de nombreuses reprises identifié au jury (la caméra filme depuis le box, et nous sommes les 12 jurés à la fois), mais parfois aussi au barbier ; et quand la caméra passe du box des jurés à celle de la chaise de l'accusé, c'est à chaque fois l'avocat qui fait le lien entre les deux , un lien physique mais aussi psychologique qui s'opère à l'intérieur même du plan (s'adressant directement à la caméra, avec son faux sourire, Shalhoub a un bras dirigé vers l'objectif, et l'autre en direction du jury, au fond). Le juge ne compte pas vraiment. Le procureur encore moins (on ne le voit presque pas). L'avocat est tout puissant, à l'image de sa place dans la société américaine.
Emporté par son tourbillon de paroles, par sa valse incontrôlable d'arguments, le jury boit sa loghorrée, tout comme l'accusé, à la fois impressionné et amusé par la façon dont l'avocat le dépeint. Cet homme "qui n'était pas là" s'étonne de se voir exister à travers l'argumentaire de son défenseur.
Par ailleurs, avec humour, le film met en valeur une réalité bien noire aux Etats-Unis : Si vous êtes capables de vous payer un bon avocat, vous pouvez sortir vainqueur de n'importe quel procès, même le plus difficile (cf.O.J. Simpson). Mais quand l'argent vient à manquer, il n'y a plus personne pour vous défendre.

*la caméra-jury, un grand classique du drame judiciaire, sert à 'prendre le spectateur à témoin' et à l'impliquer dans le procès. Implicitement, le spectateur de cinéma "devient" juré et est "sollicité" pour rendre son verdict.

Laurent G, vu au Méliès à Pau en 2001


Retour liste


2.
L.G ( c'est à dire Laurent) a déjà exprimé l'essentiel … un film merveilleux sous toutes ses coutures
Pour ceux et celles qui souhaitent se délecter comme je l'ai fait avec de la musique (à la fois "in" et "off") en contre emploi, c'est le moment! ! les airs d'opéra en début de film mais surtout les extraits de sonates pour piano de Beethoven qui, dans des moments ABSOLUMENT incongrus, sonnent REMARQUABLEMENT juste: il fallait oser ..
Cet humour décapant, avec une touche de satire sociale n'empêche pas les choix musicaux de jouer sur un autre registre: celui de la sensibilité d'Ed Crane, si délicate qu'elle peut nous sembler embryonnaire. Le personnage n'est cependant pas si fantômatique que cela, j'en veux pour preuve la manière dont il mène rondement l'audition de Birdy dans le monde de la musique classique qui est aux antipodes de son milieu social et culturel.
Les autres musiques sont, comme le film dans son ensemble, d'une exactitude extrême (remarquons par exemple la subtilité avec laquelle la sonorité de bastringue du piano du début de film évolue vers le timbre racé et plus adéquat de la sonate beethovénienne) Clin d'œil probable aux sonorités du piano jazz des années quarante…accentué par ces mêmes sonorités jazzy superposées et opposées à celles de la sonate (scène de la fête au magasin)
La scène où la musique de piano devient musique d'écran et dans laquelle le personnage de Birdy vue de dos, joue du piano nous fait entrer dans l'univers secret d'Ed qui est, comme le dit Laurent, "un personnage en décalage".

Analyse de ce décalage sur le plan musical :
Scène de la fête dans le magasin où travaillent Doris et " big Dave
"
Nous voyons l'orchestre de jazz : pas de doute, il s'agit d'une musique "in", elle nous met dans l'ambiance réaliste des personnes qui dansent ou qui ont décidé de passer du bon temps ensemble. C'est cette réalité sociale qu'Ed va quitter et la musique de piano s'installe petit à petit en musique "in", tout comme Ed va s'habituer à l'idée de changer réellement son existence. Les extraits "off" de la sonate pour piano (que j'appelle musique à contre-emploi) se superposent, dans un premier temps à la musique de jazz, que l'on entend encore mais dans une dynamique moindre, comme dans le lointain. Ed semble se rapprocher de cette musique off * comme s'il se rapprochait de son intimité profonde.
(*Entre autres fonctions, les musiques"off" nous plongent souvent dans l'intimité des personnages ,dans leur vie imaginaire, celle que les mots ne peuvent pas exprimer)
Cette musique"off" se transforme en musique "in" dès que l'on voit la source sonore, c'est à dire Birdy qui joue. (A noter au passage, l'esthétique stylisée de ces pianos à queue, les jeux de lumière et d'ombre de leur couleur noire et la longue séquence dans laquelle la petite pianiste est vue de dos).
Bref, à partir du moment où Ed voit Birdy jouer du piano, la musique de jazz (qui était apparemment jusqu'ici celle de sa réalité sociale) disparaît progressivement et c'est cette musique classique qui va désormais prendre toute la place dans le film, (en musique" in" et en musique" off ") comme si Ed se mettait davantage à l'écoute de la partie la plus secrète de sa personnalité, celle qui est en total décalage avec son monde social, celle qui ressemble à une enfant jouant de la musique. Il va s'y perdre et de perdre les autres.
Un grand film, vraiment.

Brigitte B., vu en 2001

Retour liste


3.
J'aurais envie de ne rien dire sur ce film …si ce n'est que vous vous devez de ne pas le rater. Ce film est avant tout un formidable hommage au cinéma ou pour être plus précis au plaisir de faire du cinéma. J'aimerais être, ne serait ce qu' un instant, à la place des réalisateurs pour goûter à l'extase de voir l' œuvre, enfin aboutie, à l'écran. Ne soyons pas présomptueux, c'est un vrai travail d'artiste où chaque numéro est millimétré, un travail de professionnel. Je rêve certainement, les frères Cohen ne doivent pas être satisfaits d'eux mêmes aussi facilement mais il est difficile de ne pas s'émerveiller devant tant d'adresse à malaxer la pellicule. J'étais resté un peu sur ma faim avec deux réalisations des auteurs que j'avais vues auparavant (Barton Fink, O Brother) mais alors là!!! Ce film est tout simplement formidable! Les frères Cohen s'amusent à recréer l'atmosphère du film noir, dans son ambiance si caractéristique avec ses jeux d'ombres, ses clairs-obscurs finement ciselés, ses décors soignés et ses personnages à chapeaux mous. Comme des enfants devant un mécano, les auteurs rassemblent toutes les pièces et rouages qu'ils ont à disposition et échafaudent leur histoire avec une imagination inouïe. Il en résulte une construction éblouissante dont je ne me lasserais pas de décrire les contours.
Malgré quelques curiosités: pourquoi Ed Crane (the barber) se laisse-t-il embrouiller par le concepteur de pressing qui pue la magouille alors qu'il a su monter une arnaque de premier ordre pour se procurer de l'oseille? Qu'importe…C'est un régal….Ce qui me paraît tellement intéressant dans ce film c'est cette simple transmission d'un plaisir partagé entre l'auteur et le spectateur. Je vais arrêter les louanges, on va croire que c'est le film du siècle…en tout cas, je le dis souvent (certains diraient avec un sourire …"mais non François…") il y a dans ce film une attention particulière accordée aux personnages secondaires (par exemple le père de Birdy, la Lolita pianiste) et c'est la marque des grandes réalisations. Ne boudez pas votre plaisir s'il vous plait…par pitié!! Allez le voir en V.O!

FG vu en Ciné club en V.O en 2001