Barber (The)
Etats-Unis
The Man Who Wasn't There
Réal. : Joel Coen
2001

Avec : Billy Bob Thornton, Frances Mc Dormand, Michael Badalucco, james Gandolfini, Anne Borowitz, Tony Shalhoub...

 

2.
Un film merveilleux sous toutes ses coutures.
Pour ceux et celles qui souhaitent se délecter comme je l'ai fait avec de la musique (à la fois "in" et "off") en contre emploi, c'est le moment! ! les airs d'opéra en début de film mais surtout les extraits de sonates pour piano de Beethoven qui, dans des moments ABSOLUMENT incongrus, sonnent REMARQUABLEMENT juste: il fallait oser ..
Cet humour décapant, avec une touche de satire sociale n'empêche pas les choix musicaux de jouer sur un autre registre: celui de la sensibilité d'Ed Crane, si délicate qu'elle peut nous sembler embryonnaire. Le personnage n'est cependant pas si fantômatique que cela, j'en veux pour preuve la manière dont il mène rondement l'audition de Birdy dans le monde de la musique classique qui est aux antipodes de son milieu social et culturel.
Les autres musiques sont, comme le film dans son ensemble, d'une exactitude extrême (remarquons par exemple la subtilité avec laquelle la sonorité de bastringue du piano du début de film évolue vers le timbre racé et plus adéquat de la sonate beethovénienne) Clin d'œil probable aux sonorités du piano jazz des années quarante…accentué par ces mêmes sonorités jazzy superposées et opposées à celles de la sonate (scène de la fête au magasin)
La scène où la musique de piano devient musique d'écran et dans laquelle le personnage de Birdy vue de dos, joue du piano nous fait entrer dans l'univers secret d'Ed qui est, comme le dit Laurent, "un personnage en décalage".

Analyse de ce décalage sur le plan musical :
Scène de la fête dans le magasin où travaillent Doris et " big Dave
"
Nous voyons l'orchestre de jazz : pas de doute, il s'agit d'une musique "in", elle nous met dans l'ambiance réaliste des personnes qui dansent ou qui ont décidé de passer du bon temps ensemble. C'est cette réalité sociale qu'Ed va quitter et la musique de piano s'installe petit à petit en musique "in", tout comme Ed va s'habituer à l'idée de changer réellement son existence. Les extraits "off" de la sonate pour piano (que j'appelle musique à contre-emploi) se superposent, dans un premier temps à la musique de jazz, que l'on entend encore mais dans une dynamique moindre, comme dans le lointain. Ed semble se rapprocher de cette musique off * comme s'il se rapprochait de son intimité profonde.
(*Entre autres fonctions, les musiques"off" nous plongent souvent dans l'intimité des personnages ,dans leur vie imaginaire, celle que les mots ne peuvent pas exprimer)
Cette musique"off" se transforme en musique "in" dès que l'on voit la source sonore, c'est à dire Birdy qui joue. (A noter au passage, l'esthétique stylisée de ces pianos à queue, les jeux de lumière et d'ombre de leur couleur noire et la longue séquence dans laquelle la petite pianiste est vue de dos).
Bref, à partir du moment où Ed voit Birdy jouer du piano, la musique de jazz (qui était apparemment jusqu'ici celle de sa réalité sociale) disparaît progressivement et c'est cette musique classique qui va désormais prendre toute la place dans le film, (en musique" in" et en musique" off ") comme si Ed se mettait davantage à l'écoute de la partie la plus secrète de sa personnalité, celle qui est en total décalage avec son monde social, celle qui ressemble à une enfant jouant de la musique. Il va s'y perdre et de perdre les autres.
Un grand film, vraiment.

Brigitte B., vu en 2001

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