2.
Un film merveilleux sous toutes ses coutures.
Pour ceux et celles qui souhaitent
se délecter comme je l'ai fait avec de la musique (à la fois "in" et "off")
en contre emploi, c'est le moment! ! les airs d'opéra en début de film
mais surtout les extraits de sonates pour piano de Beethoven qui, dans
des moments ABSOLUMENT incongrus, sonnent REMARQUABLEMENT juste: il fallait
oser ..
Cet humour décapant, avec une touche de satire sociale n'empêche pas les
choix musicaux de jouer sur un autre registre: celui de la sensibilité
d'Ed Crane, si délicate qu'elle peut nous sembler embryonnaire. Le personnage
n'est cependant pas si fantômatique que cela, j'en veux pour preuve
la manière dont il mène rondement l'audition de Birdy dans le monde de
la musique classique qui est aux antipodes de son milieu social et culturel.
Les autres musiques sont, comme le film dans son ensemble, d'une exactitude
extrême (remarquons par exemple la subtilité avec laquelle la sonorité
de bastringue du piano du début de film évolue vers le timbre racé et
plus adéquat de la sonate beethovénienne) Clin d'œil probable aux sonorités
du piano jazz des années quarante…accentué par ces mêmes sonorités jazzy
superposées et opposées à celles de la sonate (scène de la fête au magasin)
La scène où la musique de piano devient musique d'écran et dans laquelle
le personnage de Birdy vue de dos, joue du piano nous fait entrer dans
l'univers secret d'Ed qui est, comme le dit Laurent, "un personnage en
décalage".
Analyse de ce
décalage sur le plan musical :
Scène de la fête dans le magasin où travaillent Doris et " big Dave"
Nous voyons l'orchestre de jazz : pas de doute, il s'agit d'une musique
"in", elle nous met dans l'ambiance réaliste des personnes qui dansent
ou qui ont décidé de passer du bon temps ensemble. C'est cette réalité
sociale qu'Ed va quitter et la musique de piano s'installe petit à petit
en musique "in", tout comme Ed va s'habituer à l'idée de changer réellement
son existence. Les extraits "off" de la sonate pour piano (que j'appelle
musique à contre-emploi) se superposent, dans un premier temps à la musique
de jazz, que l'on entend encore mais dans une dynamique moindre, comme
dans le lointain. Ed semble se rapprocher de cette musique off * comme
s'il se rapprochait de son intimité profonde.
(*Entre autres fonctions, les musiques"off" nous plongent souvent dans
l'intimité des personnages ,dans leur vie imaginaire, celle que les mots
ne peuvent pas exprimer)
Cette musique"off" se transforme en musique "in" dès que l'on voit la
source sonore, c'est à dire Birdy qui joue. (A noter au passage, l'esthétique
stylisée de ces pianos à queue, les jeux de lumière et d'ombre de leur
couleur noire et la longue séquence dans laquelle la petite pianiste est
vue de dos).
Bref, à partir du moment où Ed voit Birdy jouer du piano, la musique de
jazz (qui était apparemment jusqu'ici celle de sa réalité sociale) disparaît
progressivement et c'est cette musique classique qui va désormais prendre
toute la place dans le film, (en musique" in" et en musique" off ") comme
si Ed se mettait davantage à l'écoute de la partie la plus secrète de
sa personnalité, celle qui est en total décalage avec son monde social,
celle qui ressemble à une enfant jouant de la musique. Il va s'y perdre
et de perdre les autres.
Un grand film, vraiment.
Brigitte
B., vu en 2001
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