Tourbillon nippon
Akira représente un moment phare dans l'histoire du cinéma : l'irruption
dans le panorama mondial de l'animation japonaise. Le film est plus que
l'adaptation du manga de Otomo. Réalisé alors que la série était en cours
de conception, il se définit comme un épisode à part. Disons le tout net
: nous avons là un chef d'œuvre. D'abord par la nouveauté du concept (pour
nous européens). C'est un véritable film de science fiction dessiné. L'intrigue
est prenante : un Tokyo post apocalyptique devient le jouet de force incontrôlable
déchaîné par des scientifiques apprentis sorciers. Tokyo présente la métaphore
de la ville future : babylone déchue et divisée. Ce n'est pas une mais
plusieurs villes qui se surimposent. Otomo nous livre sa vision pessimiste
de la science, vision ancrée dans le passé de son pays frappé par la puissance
de l'atome. Toute la force est de dessiner ce qui aurait été filmé. Les
personnages sont extrêmement travaillés. Otomo plonge dans les racines
de l'anti-héros et nous brosse le portait du sauveur des temps modernes
: de jeunes motards, délinquants oubliés et victimes d'une société aveugle.
Mais attention loin de sombrer dans le jeunisme ; le réalisateur nous
décrit un monde traversé par les sectes, les multinationales, l'exclusion
et l'extrême violence. Un monde lointain et pourtant si proche. Le film
est vif, violent certes mais d'une remarquable pertinence. Il plonge à
la fois dans la mentalité japonaise mais aussi dans celle de l'Occident
ivre de science et de sa soi disant puissance. D'autre part, l'animation
confère à l'histoire une saveur toute particulière : le dessin est magnifique
(en particulier le design des motos). Elle permet le développement d'univers
très complexes et une audace graphique. Enfin le film est un hymne à l'avenir.
Loin de l'univers sombre des premières scènes, il insiste sur le fond
d'humanité qui sommeille en chacun de nous (et qui est si prononcé chez
ceux que le système exclue). Ce film annonce avec presque 20 ans d'avance
les errements du 21è siècle : communautarisme, égoïsme, scientisme.