1.
Me voici donc à nouveau plongée dans l'univers de Tolkien via Jackson
et Shore. Je me pose en outre, non pas la question d'un marketing rondement
ficelé, la réponse est évidente, mais celle d'un, que dis-je ! de trois
films, quant à leur entité et autonomie. Vous retrouverez ce questionnement
ainsi que mon analyse (autre que musicale )dans la " liste des films
" proposée par Laurent dans ce site.
Analyse musicale
(il s'agit d'une analyse
qui englobe les deux films : pour une œuvre qu'on appelle déjà " Trilogie
" les choses sont indissociables)
Elle ne sera guère différente de celle de " La Communauté.. " si ce
n'est qu'elle présente quelques précisions encore plus sévères et plus
sériées, les reproches s'aggravent avec " Les Deux Tours ", dans la
mesure où le compositeur n'a rien apporté de nouveau, utilisant les
mêmes procédés de redondance, " bis repetita " ne plaisent pas toujours.
La sévérité de mes propos nécessite une argumentation un peu longue.
a) A mon sens, le compositeur confond les genres : Une
musique de film n'est pas et ne doit pas être la version frustrée
d'un opéra. Espérons d'ailleurs qu'il n'y aura pas de version-opéra,
du moins pas avec "cette" musique là.
b) Le style ampoulé de Shore est un foisonnement de clichés
sonores, aurait il décidé d'en faire le répertoire le plus complet possible
?
- Nous avons été gratifiés de réminiscences " Titaniesques " non voilées
de Céline Dion… tant mieux pour ses fans et pour ceux du " Titanic "
(je comprends mieux l'expression : musique-bateau) un bateau manquait-
il à ce point dans les deux premiers films ? Patience : attendons donc
le dernier épisode, Shore nous coupe l'herbe sous les pieds.
- Musique d'un académisme déjà éprouvé (on aura reconnu aisément la
parenté avec " O Fortuna " de C. Orff, la version proposée par Shore
est hélas plus fade). L'auditeur nage dans une facilité bienheureuse
qui est justement aux antipodes de l'univers de Jackson via Tolkien.
On peut se permettre de parler de " non sens " ou de " contre sens "
musical.
- Musique qui empêche, à tout moment, le moindre effet de surprise.
- Univers musical paradoxalement sans dynamique qui, en outre, n'use
jamais des ressources innovantes auxquelles on est en droit de s'attendre
: le mal s'aggrave parce qu'on va sans doute le subir 3 fois.
c) le silence, " Trésor " rare chez Shore, il devrait pourtant
être incontournable dans nombre de scènes ( il est en outre une qualité
des Hobbits). Il y a quelque chose de débilisant dans ce que le compositeur
nous donne à entendre : les oreilles nous asservissent, nous guident
sans cesse, générant une inaptitude à rêver par soi même, ne serait
ce que quelques minutes, c'est avec beaucoup de peine que nous pouvons
nous laisser porter par ce qui fait la magie du 7ème Art.
d) le son, y compris les bruitages, est pour moi, une verrue
dans le film :
je crois que c'est un SON pour " bouffeurs de pop corns " (qu'ils m'excusent,
s'il en est, parmi les lecteurs de ce site). La mastication est à elle
seule un univers acoustique interne et externe puissant auquel il faut
ajouter les crissements spécifiques aux pop-corns, les bruissements
de papiers bonbons, le réalisateur et le compositeur ont peut-être tenu
compte de ces paramètres de notre modernité?
La qualité de suggestion, que Laurent aime tant au cinéma, prend ici
un sacré coup. Quel dommage ! mais ce dommage est représentatif des
agressions sonores et insidieuses de notre monde, nous nous sommes désormais
complètement accoutumés à ces dernières (cf les quelques citations éloquentes
que je retranscris plus loin).
(Petit clin d'œil et " d'oreille " à Tati, dans " Mon Oncle ", il nous
avait mis en garde! (ce film passe en ce moment sur les écrans TV) merci
à ce visionnaire.
e) A aucun moment la musique ne peut jouer son rôle essentiel
de " valeur ajoutée " :
malgré l'énorme budget mis à la disposition de Shore (on parle de 200
choristes, d'un orchestre symphonique etc,) sa musique reste un "fond"
sonore, nous sommes englués dans une pure paraphrase musicale
qui suit ou précède l'action comme " le petit caniche à sa mémé ", vacuité
qui dessert l'ensemble. Quel triste sort que celui d'une musique qui
rend pitoyable tout ce qu'elle touche : autant les effets dramatiques
que poétiques.
f) Voici quelques exemples de critiques positives, concernant
la musique de Shore, j'ai pu les lire en surfant à droite ou à gauche
:
" musique, seigneur des anneaux " via Google, vous pourrez ainsi les
retrouver. - " la musique colle tellement au film que je l'ai
à peine remarquée " : c'est exact, elle est un vrai pot de colle, mais
là n'est pas son rôle, et, pour ne " pas la remarquer " il faut être
sourd, dans ce cas là est-il possible d'en parler ?
- " il ne se passe pas une seule seconde sans avoir l'impression
d'être au cœur même du film " : inexact, nous avons quand même le droit
à quelques minutes de répit dans les deux films, il faut se concentrer,
s'en contenter mais ces minutes existent.
- " même si on n'a pas vu le film, la simple audition du CD … " inutile
de voir le film ? Jackson est-il sensible à un tel hommage ?
- " il ne manquait que la musique à l'œuvre de Tolkien, c'est chose
faite … " Tolkien n'est plus là pour se sentir honoré d'une telle citation
!
- On nous parle aussi de " véritable révolution de la musique classique
" en faisant référence à " la puissance de Wagner "…fin XIXème ! propos
antinomiques qui me laissent perplexe !
Je me demande, en lisant ces enthousiasmes débordants de vitalité, si
je ne fais pas partie d'un monde désormais révolu ou bien si les critiques
sont déjà envahis par l'Ombre auditive ? Le Roi et son Retour sauront-ils
défier le monde sonore de Shore aussi bien que celui de Sauron?
Le conseil simple et pragmatique de Morgane L D, il a sa place
dans cette rubrique : se munir de " boules quies " : quel bon sens !
J'ajouterai quelque chose à cette judicieuse idée : allez voir le film
en VO(ST !) munis de casques tels que ceux qui s'imposent aux ouvriers
maniant le marteau piqueur…
Brigitte Boëdec
déc. 2002
retour
sommaire
2.
Non, tout le monde n'est pas envahi par l'ombre auditive, comme Brigitte
la nomme si bien. La musique du Seigneur des anneaux m'a moi aussi énervé,
noyant le film avec la même efficacité que les Ents déversant
les flots sur Isengard. Shore inspiré par Wagner et Orff ne sait
qu'être pesant. Boorman, lui, ne s'était pas posé
la question pour Excalibur, il avait carrément emprunté
les partitions des deux compositeurs sus-cités, avec une certaine
réussite. C'aurait pu être une option intéressante
pour Le seigneur des anneaux...
Laurent Goualle,
écouté à Pau en 2002
|