Rôle signifiant de la quasi absence
de musique
dans un film

Exemple choisi : " La PROMESSE " 1996
Réalisateurs : Luc et Jean Pierre Dardenne
Avec : Igor : Jérémie Renier, Roger: Olivier Gourmet

Autre film des frères Dardenne sur le forum : Le Fils

 


Bref synopsis : Igor est un jeune apprenti mécanicien, son père Roger impose sa loi et l'oblige à s'occuper des travailleurs clandestins qu'il exploite odieusement. L'un d'eux, Hamidou se blesse en tombant. Il meurt faute de soins mais Igor lui a promis de s'occuper de son épouse Assita.

Analyse musicale
Si on accepte l'hypothèse que la musique " off " entretient un lien profond avec notre inconscient, notre émotivité, notre affectif et notre imaginaire, on comprend pourquoi elle est absente dans ce film. Une telle vacuité musicale n'est pas pour autant vide de sens, je pense que les réalisateurs ont volontairement supprimé toute possibilité d'évasion pour nous autres " audio-spectateurs " : nous sommes cloués à une réalité sordide qu'ils veulent dénoncer et nous n'avons pas d'autre choix que de les suivre dans cette démarche pendant toute la durée du film. Inutile d'essayer de rêver de s'évader, même avec ses oreilles.

Très peu de musiques in dans ce film, Un exemple et sa signification : séquence analysée : Le père et le fils chantent en duo dans la boîte de nuit Les réalisateurs nous ont déjà montré que :
-1)l'espace est celui du père (la boîte de nuit)
-2)Les relations humaines sont celles du père (les prostituées) -3)Les valeurs sociales et la gestion de la sexualité sont celles du père
-4)La musique est ici une " valeur ajoutée " : elle montre à quel point le père phagocyte le fils et lui enlève toute possibilité de construire une once d'univers personnel. Il s'agit d'une chanson qui appartient au répertoire, à la génération et à la culture du père, le fils la chante avec le père. Il n'a pas accès au monde de son imaginaire, tout est verrouillé, aucune possibilité de choix personnel.

Il y aura cependant une exception à cet état de fait : Pour honorer sa " promesse " le fils enchaînera son père, dans ce choix ultime, crucial et dramatique, il se libère de sa servitude à l'égard du père(servitude qui a pour effet pervers d'asservir les travailleurs clandestins)°il libère du même coup " l'âme " de l'autre père, celui qui est physiquement mort. (nous sommes carrément dans une dialectique hégélienne)

La présence mais aussi l'absence de musique ont toujours du sens.
C'est la raison pour laquelle j'invite chacun à écouter avec attention les musiques qui nous sont " balancées " dans les séries de m… à la TV. Faites un affront à votre intelligence en vous astreignant à une telle audition : Il vous suffira de quelques secondes purement auditives, yeux fermés pour être saisis de l'envie frénétique de zapper et trouver un autre programme. Dans ce cas très précis, l'absence de musique serait déjà un signal de subtilité de la part des réalisateurs… il ne faut trop leur en demander !

Brigitte Boëdec, décembre 2002.

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