Le voyage de Chihiro
Japon
2001
animation
réal., scén., : Hayao Miyazaki
Directeur de l'animation : Masashi Andô
Directeur artistique : Yoji Takeshige
Musique : Joe Hisaichi

 

    La musique du voyage de chihiro

    1.
    I l ne s’agit pas d’une musique de " supermarché ".
    Elle est écrite avec sensibilité, avec une réserve, souvent proche des œuvres pianistiques d’E. Satie. Elle est de bon ton, elle n’envahit pas non plus l’espace imaginaire.

    MAIS  hélas :
    Elle possède, à mon avis, quelques aspects pernicieux.
    a) elle est plutôt conventionnelle.
    b) elle est illustrative et sans surprise dans ses apparitions

    c) Elle est en quasi totalité occidentale et à ce titre décevante pour qui a fait le choix de voir un film japonais. Ce qui est qualifié d’occidental concerne bien sûr les U.S.A : Miyazaki a-t-il voulu choyer ce public ?
    -Pourquoi le film de Miyazaki occulte-t-il donc autant la musique traditionnelle du Japon  : telle est la question qu’il est possible de se poser. De nombreux critiques ont salué ce film comme un "  incontournable " de la culture japonaise "traditionnelle". pour ceux que la culture japonaise intéresse réellement, voici le titre d’un ouvrage, à lire et à écouter (puisqu’il y a aussi un CD) " Musiques traditionnelles du Japon" éd musiques du monde chez ACTES SUD. On le trouve dans les FNAC et dans les librairies qui proposent une littérature sur la musique.

    -Laurent a ébauché une comparaison avec Disney. J’aimerais être un peu mieux éclairée sur le sujet et peut-être aura-t-il envie d’argumenter ses propos? Le chemin musical accepté par Miyazaki montre que, sur le plan auditif en tous cas, "Disney" n’est peut-être pas si loin que cela :
    Un exemple très parlant: Le générique de fin trotte dans nos oreilles occidentales pendant de nombreuses heures parce qu’il est construit sur un schéma bien rodé (c’est la raison pour laquelle cela fonctionne aussi bien)
    La musique traditionnelle japonaise n’est pas mémorisable aussi rapidement.
    -On pourrait aussi parler du graphisme des visages, des yeux bien ronds.. etc)
    -Je vais maintenant m’amuser à tenir des propos qu’on peur qualifier de " culturellement non corrects "
    Ce que Disney a apporté au film d’animation, sur le plan technique, n’est pas dénué d’intérêt or les mouvements des personnages dans " Le voyage.. " sont gauches et c’est dérangeant.

Brigitte B.


2.
Brigitte vous espérez un débat contradictoire sur la musique de ce film ? Oui, j'ai dit que celle-ci n'était pas celle d'un supermarché. Oui, comme vous j'ai fredonné toute la soirée l'entêtant air final. Mais, pour le reste, je dois vous avouer fort piteusement, chère Brigitte, que je l'ai complètement, radicalement, définitivement… oubliée ! C'est là un signe sans doute de son caractère conventionnel… ou d'une mémoire auditive défaillante de ma part. Quoi qu'il en soit, vous remportez ce round par K.O. Mais, foi de S.C.R*, il y en aura d'autres !

Alexis G., Gaumont mai 2002

* Certains sur ce site connaissent les initiales de ce sigle. Je m'excuse de cette private joke auprès des autres.


3.
La musique du film de Miyazaki est signée par
Joe Hisaichi, un musicien dont on peut entendre les mélodies dans la plupart des films de Takeshi Kitano, et dans les précédents longs-métrages de Miyazaki. Je ne suis pas un inconditionnel de ce musicien dont les musiques me semblent inégales (il s'agit ici d'un jugement totalement subjectif). J'ai en mémoire des mélodies simples et "efficaces" avec une orchestration limitée, des airs qui trottent longtemps dans la tête (Hana Bi, l'été de Kikujiro...), parfois réussis, parfois un peu faciles et répétitifs, mais aussi des morceaux symphoniques plus ambitieux et un peu plus ennuyeux (Princesse Mononoke). J'adore en revanche les thèmes musicaux de Mon voisin Totoro (que j'avais intégrés à mon message de répondeur il y a quelque temps).
Je ne suis pas assez musicien pour juger vraiment de la qualité des oeuvres de ce compositeur. Son omniprésence dans les films de ces deux réalisateurs importants peut agacer (vive la diversité !), en revanche, je ne comprends pas la critique de Brigitte disant qu'il s'agit d'une musique "occidentale". D'abord qu'est-ce qu'une musique "occidentale" ou "orientale"" ? Et puis Je ne vois pas pourquoi il faudrait nécessairement une musique traditionnelle japonaise pour accompagner un film dont les thèmes m'apparaissent aussi universels. Je ne demande pas aux films français d'utiliser obligatoirement une musique française ! En revanche se pose la question du rôle de la musique au coeur du film. Remplit-elle son rôle ? Il me semble que oui. Il me semble que le piano du début (quand Chihiro et ses parents entrent dans le "parc d'attractions" souligne discrètement l'étrangeté et le mystère du lieu. La marche des esprits est aussi parfaitement accompagnée par les les flonflons inquiétant d'une parade à la fois drôlatique et terrifiante (pour Chihiro : quel cauchemar vit elle !). En revanche, j'ai aussi oublié le thème final. Mais cela ne veut pas dire, n'est-ce pas Alexis, qu'il est conventionnel. Une musique n'est pas forcément bonne parce qu'elle vous trotte dans la tête (où alors Britney Spears est une diva !).

Laurent Goualle


4.
Histoire de continuer la discussion autour de la musique de Chihiro, j'ai lu dans le numéro d'avril 2002 de Positif (excellente revue de cinéma), dont une bonne partie est consacrée au cinéma d'animation japonais, un entretien de Max Tessier avec Miyazaki, dans lequel on en apprend un peu plus sur la fameuse chanson finale du film, qui fait use tant de claviers sur le forum. cette chanson fut écrite par une jeune fille, et pas du tout par Jose Hisaichi, furieux qu'on lui impose ainsi la mélodie d'une autre. Bon gré mal gré, il a accepté d'en écrire les paroles, mais d'après Miyazaki il n'a visiblement pas digéré cette "offense". Par ailleurs, d'après le réalisateur, Hisaichi a des méthodes de travail bien particulières : Miyazaki lui donne d'abord les grandes lignes du film, le compositeur crée une musique (et sort un CD), puis une fois le film terminé il choisit parmi tous ces morceaux ceux qui conviennent aux différentes scènes.

Laurent Goualle

 


5.
J'ai vu la plupart des films de Hayao Miyazaki et de Takeshi Kitano. J'aimerais revenir sur certains points de la critique que vous avez émise sur Le voyage de Chihiro, essentiellement sur ce que vous avez écrit sur l’emploi d’une musique de type occidentale.
J'aime beaucoup ce film, et contrairement à vous je n'ai peut être pas assez de recul pour pouvoir en faire une analyse aussi concise, et je ne peux donc pas dire s’il s’agit réellement d’une œuvre cinématographique importante. Je pense que seule l’Histoire qui ne garde que l’essentiel en décidera.
Ma rencontre avec le dessin animé japonais remonte à mon enfance, beaucoup de ses aspects me sont familiers, notamment sa manière de mêler Japon et occident. Mais je ne crois pas que cela soit dû uniquement aux choix des réalisateurs, le paysage social joue énormément, certains aspects de la culture occidentale sont réellement assimilés et se mêlent ainsi à l'esprit japonais sans le dénaturer. On peut dire que les Japonais ont bien apprivoisé l'occidentalisation.
J'aimerais partir de l'idée qu'avant d'être un film japonais (qu'est ce qu'un film japonais?), le voyage de Chihiro c'est aussi et surtout un film d'Hayao Miyazaki. Il faut ainsi noter que Miyazaki qui a été formé dans l'industrie de l'animation japonaise (bien qu'il l'ait très tôt contesté), a d'abord très peu réalisé de films qui prenaient pour cadre son pays. Le premier qui se déroule au japon est Mon voisin Totoro(1988). C'est un homme qui aime la culture européenne, et beaucoup de ses oeuvres ont pour cadre des lieux qui évoquent des espaces européens. Il en est de même pour la musique d'Hisaishi, fortement influencé par Satie. Cette musique conventionnelle, assez naïve (ce n'est pas un défaut) fonctionne donc naturellement avec les films de Miyazaki.
Je n'ai pas étudié la musique. Je connais peu la musique japonaise.
Dans son histoire du "Cinéma japonais tome 1" publié aux éditions cinéma/puriel, Tadao Sato fait allusion à la rencontre musicale due à la naissance du cinéma et à son apparition au japon, la tradition japonaise se croise à l’occident. Dans les salles obscures au temps du muet les orchestres commencent à mêler des instruments japonais et occidentaux.
Je cite Tadao Sato: "La population finit par s'habituer à la musique occidentale et par trouver la musique japonaise démodée, sans pour autant se résoudre à l'abandonner complètement. C'est ainsi qu'est né le mélange des instruments occidentaux et japonais(...)".
Je pense que l'un des grands musiciens engendrés par cette rencontre japon occident est sans doute Takemitsu. Je ne suis pas un spécialiste de Takemitsu, mais il est clair que sa musique n'a pas seulement à voir avec la tradition japonaise.
Ainsi critiquer la bande son du voyage de Chihiro pour son aspect occidental me parait vain.
Miyazaki place l'action de son film au Japon et mêle ainsi inévitablement le folklore, le shintoïsme à l'univers que rencontre/crée la petite fille. Mais il n'a certainement pas fait son film dans l'intention de vendre un produit qui cherche à faire découvrir la culture japonaise. D'ailleurs rien n'indique qu’il serait particulièrement sensible à des aspects traditionnels de son pays.
Le problème de la musique de Hisaishi (s'il y'a problème) ne doit donc pas être dû à son aspect occidental. Ce film est le produit d'un homme qui vit et qui a grandi dans un japon "occidentalisé". Le film est donc ce qu'il aurait dû être, une oeuvre qui reflète son monde contemporain tout en étant empreint de nostalgie. Les esprits et fantômes japonais ne sont pas là parce que le film traite du shintoïsme ou d'un quelconque aspect culturel, traditionnel, mais parce qu'ils existent dans la vie de cette petite fille "moderne" qu’est Chihiro, au même titre que la voiture du père...

Mounir A.

 

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