Dark Water
Japon
Réal. : Hideo Nakata
Scénario : Yoshihiro NAKAMURA, Ken-Ichi SUZUKI, d'après la nouvelle de Koji SUZUKI
Musique : Kenji KAWAI
Photo : Junichiro HAYASHI
Lumières : Maicho TOMIYAMA
Directeur artistique : Katsumi NAKAZAWA
Montage : Nobuyuki TAKAHASHI
Avec : Hitomi Kuroki, Rio Kanno, Mirei Oguchi

 

Yoshimi Matsubara, une femme en instance de divorce commence une nouvelle vie et emménage avec sa fille de six ans (Ikuko) dans un appartement au second étage d'un immeuble un peu vétuste. Alors que la femme éprouve des difficultés à faire face à sa nouvelle vie, une fuite d'eau apparaît au plafond, provenant de l'appartement du dessus...

Attention aux âmes sensibles (à tous les points de vue) : Dark Water est un des films les plus terrifiants qui aient été tournés depuis longtemps ; mais qu'on ne s'y trompe pas : derrière le masque de l'épouvante se cache une oeuvre riche, dense et particulièrement émouvante.
Il n'y a pourtant rien, a priori, de formidablement innovant dans le projet : il s'agit d'une histoire de spectres, de maison hantée, dans la grande tradition des Innocents ou de la Maison du diable - une tradition d'ailleurs qui se perpétue et qui n'est pas liée à un pays en particulier : Les Autres, L'Echine du diable, (Espagne) le Sixième Sens (Etats-Unis), Ring (Japon) et même Jeu d'enfants (France) ont témoigné récemment et avec plus ou moins de réussite de la vivacité du genre*.
Pourquoi Dark Water est-il si impressionnant ? C'est une question que les spectateurs un peu familiers du film d'angoisse doivent se poser en sortant de la projection : en effet, aucun des procédés de montage et de mise en scène utilisés pour susciter la terreur ne sont profondément novateurs (exemples : un plan du visage effrayé suivi du plan de la chose qui effraye, une caméra en mouvement placée du point de vue de l'"agresseur") ; par ailleurs, on devine très vite les ficelles du scénario, et ce que cache l'immeuble.
Or si tout fonctionne à merveille, c'est à mon avis grâce à deux grands traits caractéristiques du film qui se complètent mutuellement :
-le premier tient dans l'économie de moyens mis au service de l'angoisse, qui faisait déjà la réussite de Ring (précédent film de Nakata) : les effets spéciaux sont quasi-inexistants, et le talent du réalisateur réside dans sa capacité à temporiser, à constamment remettre à plus tard les révélations, la découverte du "monstre qui fait peur", (qui ne viendra jamais vraiment). Il se focalise sur des objets (un cartable de fillette abandonné), des décors (l'ascenseur, l'apartement du dessus, le toit), les éléments naturels (l'eau, évidemment), des ombres, qui envahissent le quotidien des personnages. Nakata suit la recette des films d'angoisse américains des années 40 produits par Val Lewton (La féline de Jacques Tourneur entre autres) qui faute, de moyens techniques, distillaient l'angoisse sans jamais rien montrer, jouant sur la lumière et le noir et blanc. La lumière, justement, dans Dark Water, est quasiment absente : C'est la toute première impression qui nous assaille : quelle obscurité ! une obscurité qui accompagnera les personnages tout au long de leur calvaire.
-Mais la principale qualité du film, qui s'ajoute au recyclage réussi de vieilles méthodes, c'est que son seul but n'est pas de faire peur : Dark Water raconte avant tout une tragédie sur le lien maternel mis à mal au sein d'une société hostile (d'où cette atmosphère particulièrement oppressante). Nakata refuse d'ailleurs lui-même de se considérer comme un spécialiste de films de fantômes. L'angoisse qu'il distille est multiple, et renvoie à la hantise de la séparation, de la perte de l'enfant (une peur qui lie les personnages au "spectre"), mais aussi à une profonde solitude. L'eau qui envahit progressivement l'existence des personnages évoque bien entendu la mort, mais aussi le liquide amiotique (lien entre la mère et l'enfant). C'est aussi l'élément naturel qui permet aux morts de communiquer avec les vivants (Rappelons-nous du bassin dans l'échine du diable).
Le réalisateur ne cède pas à la tentation du happy end. Il va jusqu'au bout de son récit pessimiste, tragique et bouleversant. Un film d'épouvante qui met les larmes aux yeux, ce n'est pas si courant.

Laurent Goualle, vu à Pau en 2003

*Tous utilisent l'univers de l'enfance pour susciter la peur.

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