Yoshimi Matsubara,
une femme en instance de divorce commence une nouvelle vie et emménage
avec sa fille de six ans (Ikuko) dans un appartement au second étage
d'un immeuble un peu vétuste. Alors que la femme éprouve
des difficultés à faire face à sa nouvelle vie,
une fuite d'eau apparaît au plafond, provenant de l'appartement
du dessus...
Attention aux
âmes sensibles (à tous les points de vue) : Dark Water
est un des films les plus terrifiants qui aient été tournés
depuis longtemps ; mais qu'on ne s'y trompe pas : derrière le
masque de l'épouvante se cache une oeuvre riche, dense et particulièrement
émouvante.
Il n'y a pourtant rien, a priori, de formidablement innovant
dans le projet : il s'agit d'une histoire de spectres, de maison hantée,
dans la grande tradition des Innocents ou de la Maison du
diable - une tradition d'ailleurs qui se perpétue et qui
n'est pas liée à un pays en particulier : Les
Autres, L'Echine du diable, (Espagne)
le Sixième Sens (Etats-Unis), Ring (Japon) et même
Jeu d'enfants (France) ont témoigné récemment
et avec plus ou moins de réussite de la vivacité du genre*.
Pourquoi Dark Water est-il si impressionnant ? C'est une question
que les spectateurs un peu familiers du film d'angoisse doivent se poser
en sortant de la projection : en effet, aucun des procédés
de montage et de mise en scène utilisés pour susciter
la terreur ne sont profondément novateurs (exemples : un plan
du visage effrayé suivi du plan de la chose qui effraye, une
caméra en mouvement placée du point de vue de l'"agresseur")
; par ailleurs, on devine très vite les ficelles du scénario,
et ce que cache l'immeuble.
Or si tout fonctionne à merveille, c'est à mon avis grâce
à deux grands traits caractéristiques du film qui se complètent
mutuellement :
-le premier tient dans l'économie de moyens mis au service de
l'angoisse, qui faisait déjà la réussite de Ring
(précédent film de Nakata) : les effets spéciaux
sont quasi-inexistants, et le talent du réalisateur réside
dans sa capacité à temporiser, à constamment remettre
à plus tard les révélations, la découverte
du "monstre qui fait peur", (qui ne viendra jamais vraiment).
Il se focalise sur des objets (un cartable de fillette abandonné),
des décors (l'ascenseur, l'apartement du dessus, le toit), les
éléments naturels (l'eau, évidemment), des ombres,
qui envahissent le quotidien des personnages. Nakata suit la recette
des films d'angoisse américains des années 40 produits
par Val Lewton (La féline de Jacques Tourneur entre autres)
qui faute, de moyens techniques, distillaient l'angoisse sans jamais
rien montrer, jouant sur la lumière et le noir et blanc. La lumière,
justement, dans Dark Water, est quasiment absente : C'est la
toute première impression qui nous assaille : quelle obscurité
! une obscurité qui accompagnera les personnages tout au long
de leur calvaire.
-Mais la principale qualité du film, qui s'ajoute au recyclage
réussi de vieilles méthodes, c'est que son seul but n'est
pas de faire peur : Dark Water raconte avant tout une tragédie
sur le lien maternel mis à mal au sein d'une société
hostile (d'où cette atmosphère particulièrement
oppressante). Nakata refuse d'ailleurs lui-même de se considérer
comme un spécialiste de films de fantômes. L'angoisse qu'il
distille est multiple, et renvoie à la hantise de la séparation,
de la perte de l'enfant (une peur qui lie les personnages au "spectre"),
mais aussi à une profonde solitude. L'eau qui envahit progressivement
l'existence des personnages évoque bien entendu la mort, mais
aussi le liquide amiotique (lien entre la mère et l'enfant).
C'est aussi l'élément naturel qui permet aux morts de
communiquer avec les vivants (Rappelons-nous du bassin dans l'échine
du diable).
Le réalisateur ne cède pas à la tentation du happy
end. Il va jusqu'au bout de son récit pessimiste, tragique et
bouleversant. Un film d'épouvante qui met les larmes aux yeux,
ce n'est pas si courant.
Laurent
Goualle, vu à Pau en 2003
*Tous
utilisent l'univers de l'enfance pour susciter la peur.
|