Jia Zhang Ke est
le jeune chef de file (30 ans) d'une nouvelle génération
de cinéastes chinois indépendants qui ont décidé
de faire des films en dehors du système : échappant au couperet
de la censure, ils bénéficient d'une très grande
liberté de création. La rançon de la médaille
est que leurs films ne sont pas distribués dans leur propre pays
: ils circulent "sous le manteau" et ne sont connus que grâce
aux projections privées organisées parfois par les réalisateurs
eux-mêmes (on retrouve un clin d'oeil à cette situation à
la fin de Plaisirs inconnus). Autre paradoxe, ces films obtiennent
des prix dans les festivals internationaux et sont distribués à
l'étranger (en France en particulier).
Ce que font Jia Zhang-Ke, Yu Lik Wai (Love will Tear Us Apart)
ou encore Wang Chao (L'Orphelin d'Anyang)
n'a rien à voir avec les beaux objets de Chen Kaige (Adieu ma
concubine, L'empereur et l'assassin)ou Zhang Yimou (Epouses
et concubines, Qiu Ju) qui appartiennent à la génération
précédente de cinéastes : plus réalistes et
moins "riches", ils sont ancrés dans la vie quotidienne
chinoise, tournés en DV, et le regard qu'ils portent sur la société
est sans doute plus incisif et plus pessimiste. Ils nes se font d'ailleurs
guère d'illusions sur l'évolution future du cinéma
et de la culture dans leur pays.*
Après Platform, formidable évocation
de l'évolution d'une province de la Chine dans les années
80, Jia Zhang-Ke fait le portrait d'une génération qui entre
dans l'âge adulte au début du 21ème siècle,
dans un pays désormais ouvert à l'économie de marché.
Coincés dans une ville moyenne de la province Shanxi (Nord de la
Chine), ils doivent faire face aux difficultés économiques,
tandis que leur avenir semble bouché. Désabusés,
ils errent dans une ville industrielle poussiérieuse qui semble
perpétuellement en chantier, promènent leur désarroi
en se raccrochant à des relations amoureuses fragiles et à
un désir de liberté et d'indépendance illusoires.
En filigrane sont évoquées les évolutions actuelles
du pays tout entier ; cette fois, c'est par les images de la télévision
qu'elles parviennent aux personnages, marquant évidemment le décalage
entre un pays en mouvement et la réalité du quotidien de
ces laissés-pour compte de l'histoire.
Sans concession, dans un style dépouillé mais très
soigné (les images sont splendides), le cinéma de Jia Zhang-Ke
rappelle parfois étrangement le néo-réalisme italien,
en plus austère encore ; ruines, terrains vagues, autoroutes en
construction font le décor terne de ces tristes errances. Moins
ambitieux peut-être que son précédent film, ce portrait
collectif n'en est pas moins formidablement touchant et sensible. Ne manquez
pas cette nouvelle expression d'un cinéma chinois libre et engagé.
Laurent
Goualle, vu à Pau en 2002
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PS. Je suis à
la recherche du premier film de Jia Zhang-Ke : Xiao-wu, artisan pickpocket.
Si quelqu'un possède un enregistrement vidéo de ce film,
j'aimerais beaucoup qu'il me contacte (email du webmaster du forum). Merci
d'avance.
*Lisez à ce
sujet "La Chine en caméras cachées", le reportage
paru dans le Télérama en date du 15janvier 2003
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