1. Mémoires de robots
L'année de l'animation s'achève en beauté. Après Otomo et Miyazaki, c'est
Oshii le 3è larron talentueux de l'animation japonaise qui vient déposer
son chef d'œuvre. Plus qu'un film, c'est une plongée philosophique, poétique
dans le monde de l'intelligence artificielle. Ce film n'est pas une suite.
La reprise du titre Ghost in Shell a un but de marketing. Car si
l'on retrouve le principal protagoniste du 1er opus (Batou), son collègue
(le Major) est quasi absent. Oshii propose une histoire différente du
premier volet. Après avoir exploré les manifestations d'une intelligence
artificielle, il s'intéresse aux passions/sentiments de ces robots. Il
est intéressant de comparer son œuvre aux derniers blockbusters américains
censés explorer le domaine : la trilogie ratée (pour les deux derniers
volets) des Matrix ; le pseudo nanar scientifique I, Robot.
Oshii démontre qu'il n'a rien perdu de sa maestria. Son film dégage une
impression de douceur, de poésie sublimée dans le dernier quart d'heure
par l'évocation du quartier high tech où se mélangent buldings et architecture
du Japon traditionnel. La parade ou le château du " fantôme " sont réellement
éblouissants : au vertige des couleurs dorées répond la trame des lignes
horizontales, verticales. Oshii mélange images de synthèse (scène d'ouverture)
et dessins traditionnels sans fausse note. On est loin du plaquage observé
dans Blue submarine 6 ou Keishin, le vagabond. La technique
est maîtrisée.
Toute cette beauté est transcendée par le travail musical de Kenji Kawaï.
Sa partition n'a rien à envier à celle du 1er volet ou d'Avalon.
Cette musique marque le film de son emprunte : ne pas rater le passage
du château et des multiples visions !!! Innocence porte la marque de fabrique
d'Oshii.
Le film ne se laisse pas dompter facilement même si Ghost in the shell
2 profite pour une fois d'un essai d'explication de la part d'Oshii.
On ne comprend pas tout à
la première vision pourtant cette opacité, loin de dégoûter, suscite l'intérêt
(le travail graphique et musical aidant). Le film regorge de citations,
de références littéraires et philosophiques à commencer par L'Eve future
de Villiers de l'Isle Adam. Le film est dense, autant que le 1er volet.
Pendant moins d'une heure trente, Oshii condense sa réflexion sur cette
intelligence artificielle. Le film part fort avec la découverte de ce
robot devenu fou qui implore Batou de le tuer pour le libérer. L'image
du robot-geisha hante le policier. Cette 1er séquence lance Batou et son
équipe dans une enquête complexe où une nouvelle fois réalité et univers
artificiel se mêlent. Le personnage du chien joue un rôle essentiel dans
cette re-lecture de la réalité (la même filiation que dans Avalon).
Oshii brouille en effet les cartes. Bien difficile de discerner le modèle
de la copie. Voitures, avions singent à ce point la Nature qu'on en vient
à douter. Le tout culmine dans le paysage du quartier High Tech où l'on
ne sait plus si le vol des oiseaux est réel où seulement une nouvelle
création artificielle. L'entrevue du château reste un épisode clé dans
cette confusion de la réalité.
L'histoire, rapide, brosse un tableau d'une société schizophrène où l'humain
étouffe sous la pression des implants, de greffes. Oshii dénonce cette
humanité désincarnée qui se réfugie dans des robots censés rallumés la
flamme de notre âme perdue. A trop copier l'humain, à trop l'améliorer,
ne l'a-t-on pas tué ? Et c'est tout le propos du film : où se cache la
réalité de l'Homme ? Quelles sont les frontières de son expression ? le
" fantôme " après le quel court Batou explore l'horizon de son existence
en recherchant cette après-vie numérique. L'enquête conduit les spectateurs
à découvrir une expérience de Frankenstein autour d'âmes d'enfants transplantés
dans des robots. Fascinant, grandiose, Ghost in the Shell séduira
par son époustouflant travail graphique mais risque de rebuter par son
apparente sophistication. Oshii rappelle une nouvelle fois l'ambition
du 7è art : sonder par l'image l'inconscient.
Hervé
L., vu en 2005
2.
Déçu par l'esthétique sale d'Avalon,
et la façon dont la montagne scénaristique et technologique
accouchait d'une souris, j'attendais Innocence avec une curiosité
mâtinée de scepticisme, tant le premier Ghost in the shell
m'avait fasciné. Et cette fois je suis en accord presque total
avec mon camarade Hervé qui s'est exprimé ci-dessus : Innocence
est une réussite totale, et en tout premier lieu esthétique.
Ce film propose une fusion totale entre l'animation japonaise traditionnelle
et les images de synthèse et le résultat est splendide,
et l'on s'émerveille à chaque seconde devant le spectacle
proposé. Ponctués d'innombrables citations philosophiques,
les dialogues sont denses et le film profond, explorant les thèmes
déjà abordés dans le premier opus, mais aussi dans
Blade Runner et toute la littérature de la robotique, rendant
un bien plus parfait hommage à Asimow que ne l'avait fait le désastreux
I, Robot. Enigmatique, sans doute, ce film pose plus de questions
(voir ci-dessus) qu'il n'apporte de réponses, mais ce questionnement
est riche et fascinant ; il apporte beaucoup aux qualités hypnotiques
des images et de la mise en scène, et l'on se laisse balader avec
jubilation sur les frontières ténues entre le virtuel et
le réel. Une petite merveille.
Laurent
G., vu en 2005
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