Une
fois n'est pas coutume, voici deux critiques en une, à propos
de deux films américains tournés la même année
et qui répondent à l'appellation de remake. Il
m'a semblé intéressant de comparer les démarches
de chacun de ces films en apparence très proches, car elles correspondent
en réalité à deux conceptions du cinéma
totalement opposées.
Tout d'abord, examinons Le Cercle. Le mot remake est en
fait assez mal choisi car ce film est la véritable copie
d'une excellente réalisation japonaise de Hideo Nakata, Ring,
sorti en 1998 et qui fut un succès sans précédent
au Japon. Ring racontait les conséquences fâcheuses
de la découverte d'une cassette vidéo maudite par un groupe
d'adolescents en vacances à la montagne. Après visionnement
de ladite cassette, le téléphone sonne, et une voix vous
annonce qu'il vous reste 7 jours à vivre... Je n'en dis pas plus.
A partir de ce sujet simple, Hideo Nakata avait concocté un objet
filmique totalement terrifiant, caractérisé par une économie
d'effets particulièrement efficace et une mise en scène
austère et angoissante.
La décision de refaire entièrement le film pour le public
américain, plutôt que de distribuer plus largement le japonais,
relève d'une habitude particulièrement détestable
des Majors (les films français en sont les premières victimes
consentantes), d'autant plus détestable que le film original
est excellent, et constitue une insulte au public de cinéma,
que l'on ne cesse de niveler par le bas.
Passons.
Enfin, non, ne passons pas : après cette objection sur le principe
même de la démarche, intéressons nous à cette
"copie" (la notion de copie étant curieusement centrale
dans l'intrigue des deux films). Première impression : cela aurait
pu être pire. La version américaine sait aussi susciter
l'angoisse, mais rajoute par-ci par là quelques effets "spectaculaires",
contredisant souvent tout ce qui faisait l'intérêt de son
original. La signification exacte du contenu symbolique de la cassette
est consciencieusement expliquée au public, et perd ainsi beaucoup
de son mystère et de son étrangeté. Enfin, on pouvait
espérer que la "pirouette" finale (que je ne révèlerai
pas ici, ne vous inquiétez pas), bénéficie des
meilleurs effets spéciaux, et soit plus impressionnante encore
que chez Nakata. Or, il n'en est rien, et on préfèrera
de loin la version japonaise. Bref, voici une imitation pas totalement
ratée, mais d'un intérêt égal à 0
- le premier de tous les cercles - et que l'existence de l'original
doit dissuader d'aller voir (la vidéo-dvd japonaise est disponible,
alors ne vous privez pas).
Solaris est la seconde adaptation d'un roman de science-fiction
de Stanislaw Lem. Contrairement au Cercle, il s'agit cette fois
d'une démarche artistique ambitieuse et originale. Lent, dépourvu
d'action, ponctué de nombreux dialogues, le film a été
un bide aux Etats-Unis. Son réalisateur, Steven Soderbergh, à
la fois chouchou d'Hollywood et auteur complet, n'est jamais là
où on l'attend : inclassable, le réalisateur surprend
constamment par ses choix, sautant d'un genre à l'autre avec
une aisance insolente, imposant sa mise en scène partout où
il frappe. Cette fois, il refait le Solaris du maître Andreï
Tarkovski (1972) à sa manière, et dans l'ensemble c'est
réussi. L'histoire : un psychologue est appelé sur une
mission interstellaire en détresse. L'équipage chargé
d'étudier une planète mystérieuse, ne donne plus
aucun signe de vie. Arrivé sur place, notre homme est lui-même
victime d'hallucinations : sa femme décédée quelques
années auparavant lui revient, bien vivante.
Le point de vue de Soderbergh est plus intimiste que celui de Tarkovski,
qui faisait de son film une réflexion métaphysique profonde
sur les rapports de l'homme et du cosmos, de sa perception de Dieu et
de l'univers. Plus modestement, le réalisateur de Sex, Lies
and Videotapes et de Traffic se place
d'un point de vue individuel, insistant sur les conséquences
psychologiques de l'intrusion des "visiteurs" sur les humains,
révélant alors toutes les fragilités et les cassures
de chacun. Mais cela n'empêche personne de continuer la réflexion
après le film, les mystères de la planète Solaris
posant d'évidents problèmes philosophiques. L'autre qualité
du film réside dans sa mise en scène dépeignant
un monde claustrophobique et pessimiste (les plans d'extérieurs
sont quasi-inexistants) mais aussi doucement hypnotique. Comme George
Clooney, nous plongeons dans un rêve bien réel et dans
le regard pénétrant de Natascha McElhone.
A l'inverse de Gore Verbinski, Steven Soderbergh réinterprète
le matériau premier du roman de Lem pour en faire un film sans
doute moins profond que celui de son prédécesseur, mais
tout aussi troublant et tout aussi personnel. Aux Etats-Unis, la manie
du remake engendre le pire comme le meilleur.
Laurent
Goualle, vu à Pau en 2003
PS. Le dernier
point commun entre ces deux films est bien sûr la présence
de très belles actrices, Naomi Watts (héroïne de
Mullholland Drive) et Natascha McElhone.
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