Résumé
Chihiro
est une petite fille de dix ans un peu boudeuse qui s'apprête à
emménager dans une nouvelle ville avec ses parents. Sur la route,
la voiture s'égare dans une forêt mystérieuse. Arrivés
dans un village étrange et désertique, les parents affamés
s'arrêtent pour déjeuner dans un restaurant plein de mets
succulents. Ils se retrouvent bien vite changés en cochons. C'est
le début d'un étrange voyage pour Chihiro.
1.
On utilise parfois le mot génie à tort et à travers.
Pour ce qui est de Miyazaki, pas de doute : après Ozu, Kurosawa,
Mizoguchi, le cinéma japonais s'est trouvé un nouveau "grand",
bien que ce dernier officie dans un domaine souvent considéré
comme marginal, le cinéma d'animation.
On hésiterait à qualifier le voyage de Chihiro de chef d'oeuvre
de Miyazaki, tant sa précédente réalisation (Princesse
Mononoke) était éblouissante, et tant on espère qu'il
saura produire d'autres oeuvres de la même qualité. Pourtant
Chihiro est bel et bien un grand film d'animation, et un grand film tout
court. Après la fresque épique, Miyazaki change de registre,
sans pour autant abandonner le merveilleux et l'imaginaire, et s'en va
explorer l'inconscient d'une petite fille de dix ans.
Telle Alice, Chihiro passe de l'autre côté du miroir. Exploitée
et réduite à l'esclavage par une sorcière propriétaire
d'un établissement de bains douches bien particulier, elle tente
de survivre (eh non, ce n'est pas du Disney) dans un monde peuplé
d'esprits plus ou moins bienveillants. Ce
rêve dont elle ne peut s'échapper sort tout droit de l'imagination
incroyable du réalisateur, véritable créateur-démiurge
(un vrai Kubrick japonais).
Malgré un cadre scénaristique de départ classique
(le parcours initiatique à la Lewis Carroll), l'intrigue qui se
déroule sous nous yeux ne ressemble à rien de ce que l'on
connaît, si ce n'est au bestiaire et à certains thèmes
développés dans Totoro,
Princesse Mononoke et Porco Rosso...
: l'univers animiste, l'esprit dévoreur, le bestiaire hilarant,
etc... S'y ajoutent des personnages jamais manichéens (une constante
chez Miyazaki, qui le rend bien supérieur aux créateurs
d'animation américains) des éléments psychanalytiques
que d'autres analyseront mieux que moi (voir plus bas), une très
grande richesse symbolique (l'eau, le feu, le dragon, le train...) et
une étrange et merveilleuse poésie (dont la scène
du train est la plus formidable illustration). De quoi maintenir le spectateur
bouche-bée pendant les deux heures que dure la projection.
Miyazaki affirme avoir fait ce film pour sa fille de 10 ans. Le temps
d'une séance, nous devenons tous un peu ses enfants.
Laurent Goualle, vu
à Pau en vf en 2002
2.
Le voyage de Chihiro ou la pathologie boulimique dans le processus
du devenir soi. (vue extrêmement partielle, j'en conviens, en fait
plutôt une pensée qu'une critique pour les indulgents, une fabulation
de comptoir pour les autres certainement…)
Notre vie est mise
en suspens par l'excès alimentaire alors que nous nous sommes laissés
guidés par le bout des narines. Qui sommes nous ?
Rond, potelé et excessif, ce sont mes imitateurs qui engloutissent mes
réserves de nourriture. Qui suis-je ? Dans un environnement malsain pour
moi tel le yuya, je me remplis et me construis uniquement à travers mon
contact phytophage avec les autres, je m'exprime grâce à leurs voix et
puis ensuite, je vomis. Qui suis-je ?
Je refuse les mets que l'on m'offre ou je tente de m'assurer de leur pureté
(s'ils sont blanc, c'est encore mieux). L'enrichissement ne m'intéresse
pas. Qui suis-je ?
Lutte contre le putride, expulsion des désordres intérieurs, liquides
anti-bactériens, lavements internes et externes…
Tout esprit mérite son nettoyage. Bon, vous reprendrez bien un beignet
?
Sophie D., vu à
Pau en 2002
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de page
3.
ALLO !
plusieurs pistes
au sujet de ce film.
Vous pouvez cliquer
sur les rubriques qui vous intéressent plus particulièrement.
1) Une
analyse du film
2) Une analyse musicale :
A partir du monde auditif, cette analyse tente d’installer un
débat :
Avec Alexis
qui m’a parlé de la musique de ce film.
Avec Laurent
Une
analyse du film :
Dans la mesure
où il s’agit d’un conte, les lectures de ce film sont multiples.
Les critiques de " professionnels " :
Télérama , Ecran Noir etc ont déjà souligné
la parenté avec " Alice au Pays des Merveilles ".
Je ne suis pas entièrement d’accord avec cette comparaison et,
en ceci, je rejoins Laurent, quoique nos visions semblent différentes.
Cette comparaison est, à
mon avis, réductrice car elle laisse de côté deux
thématiques importantes : la polarité masculine de
Haku et son rôle d’Apprenti Sorcier.
J’ai centré
mon analyse du film sur un plan particulier :le processus de TRANSFORMATION.
Dès le début,
Chihiro est confrontée à la transformation de sa vie :
elle quitte l’univers de son enfance d’une manière banale :
ses parents ont décidé de déménager.
Ce déménagement
est également symbolique dans la mesure où il s’agit de
l’anniversaire de Chihiro (il en est question 2 fois dans le film).
A partir de ces
deux faits divers, Miyazaki construit un film qui tourne autour l’alchimie
symbolique des " transformations ".
Celles ci se succèdent à un rythme difficile à
suivre :
En voici quelques
exemples seulement:
- l’esprit putride se transforme
en vision écologique de notre ère.
-le dragon : une facette
de Haku
-le " rat volant "
qui provient des 3 têtes vertes
- son compagnon de voyage
- le bébé
de Yubaba( plusieurs fois transformé) qui n’a pas la possibilité
de grandir …
Miyazaki nous
met très vite face à sa maîtrise époustouflante
de l’art visuel , un seul exemple qui montre aussi la maîtrise
de l’effet de surprise :
-la transformation porcine
des parents (ils étaient aussi l’entité nourricière
primitive)
Sur un plan simplement biologique,
ingurgiter de la nourriture entraîne un processus de transformation
chimique.
Les refus de manger ( chihiro
en début de film) la consommation de nourriture sacrée
(les boulettes blanches) la boulimie ambiante (consommation pathologique
dont parle Sophie D dans sa critique) l’aspect médicinal ( cf
ce que Chihiro fait ingurgiter au dragon-Haku inconscient, pour le sauver)ont
des implications et des racines dans l’inconscient humain.
Chihiro refuse de manger
avec ses parents, ceci n’est pas anodin mais symbolique (refus du modèles
social que représente le père dont le compte en banque
est bien garni) elle est aussi dans un processus personnel d’appréhension
du monde et, à travers sa relation à la nourriture, elle
acquiert son autonomie.
On peut penser que les différents
personnages du film concernent chacun des facettes de la personnalité
de Chihiro et de son évolution :
-Elle va devoir, notamment,
cohabiter avec différents vices et surtout, gérer, face
à eux, son comportement en toute autonomie.
Un exemple :
elle est entièrement
responsable de l’entrée, dans la cité, de l’esprit " sans
visage ". En lui laissant la porte ouverte, elle a généré
une transformation sociale des comportements : la cupidité matérielle
a pu s’installer.
Face à chaque transformation
de son univers, Chihiro doit trouver elle-même la solution.
Ce film est tout
à fait intéressant mais je ne suis pas prête
à crier "au génie" comme Laurent :
Je m’y suis ennuyée
quand il s’enlise dans les vomis répétés
de "l’Esprit sans visage". Heureusement, dès que Chihiro
quitte la cité et grâce à des interventions poético-humouristiques
(le fameux voyage en train) on trouve un second souffle.
Laurent a –t-il raison quand
il dit qu’il n’y a pas de manichéisme dans ce film ? Je
n’en suis pas persuadée pour les raisons suivantes :
- Très vite, le personnage
de Chihiro devient exclusivement positif.
-la gémellité
de la sorcière : Yubaba et de sa sœur, la grand-mère ,
est un procédé rusé mais le leurre ne fonctionne
pas : il y a quand même la "gentille" et la "méchante".
-le personnage de Haku reste
assez primaire: il aide Chihiro, "c’est bien !".
Il joue à
l’Apprenti Sorcier, "c’est pas bien ! "
EN CONCLUSION :
-Ce conte est plus philosophique
qu’il n’y paraît, il faudrait connaître de manière
plus exacte la culture japonaise traditionnelle et le Japon d’aujourd’hui
(clin d’œil avec la scène de "l’esprit putride")
-Un film à voir même
si l’œuvre semble un peu décousue et laisse un sentiment d’inachevé.
-Une grande déception :
son côté extrêmement occidental.
Une analyse
musicale
Il ne s’agit pas
d’une musique de " super marché " je suis
OK avec ce qu’a dit Alexis au sortir du film. Elle est écrite
avec sensibilité, avec une réserve, souvent proche des
œuvres pianistiques d’E. Satie. Elle est de bon ton, elle n’envahit
pas non plus l’espace imaginaire.
MAIS hélas
:
Elle possède, à
mon avis, quelques aspects pernicieux.
a)elle est plutôt
conventionnelle.
b) elle est illustrative et sans surprise dans ses apparitions
c) Elle est en quasi
totalité occidentale et à ce titre décevante
pour qui a fait le choix
de voir un film japonais. Ce
qui est qualifié d’occidental concerne bien sûr les U.S.A :
Miyazaki a-t-il voulu choyer ce public ?
-Pourquoi le film de Miyazaki
occulte-t-il donc autant la musique traditionnelle du Japon :
telle est la question qu’il est possible de se poser. De
nombreux critiques ont salué ce film comme un " incontournable "
de la culture japonaise "traditionnelle".
pour ceux que la culture japonaise intéresse réellement,
voici le titre d’un ouvrage, à lire et à écouter
(puisqu’il y a aussi un CD) " Musiques traditionnelles du Japon"
éd musiques du monde chez ACTES SUD. On
le trouve dans les FNAC et dans les librairies qui proposent une littérature
sur la musique.
-Laurent a ébauché
une comparaison avec Disney. J’aimerais
être un peu mieux éclairée sur le sujet et peut-être
aura-t-il envie d’argumenter ses propos? Le
chemin musical accepté par Miyazaki montre que, sur le plan auditif
en tous cas, "Disney" n’est peut-être pas si loin que
cela :
Un exemple très
parlant: Le générique de fin trotte dans nos oreilles
occidentales pendant de nombreuses heures parce qu’il est construit
sur un schéma bien rodé (c’est la raison pour laquelle
cela fonctionne aussi bien)
La musique traditionnelle
japonaise n’est pas mémorisable aussi rapidement.
-On pourrait aussi parler du graphisme des visages, des yeux bien ronds..
etc)
-Je vais maintenant m’amuser
à tenir des propos qu’on peur qualifier de " culturellement
non corrects "
Ce que Disney a apporté
au film d’animation, sur le plan technique, n’est pas dénué
d’intérêt or les mouvements des personnages dans " Le
voyage.. " sont gauches et c’est dérangeant.
Brigitte B. Gaumont
mai 2002 (en v.f)
4.
Il reste peu à dire sur ce film après les analyses précédentes, surtout
celle de Brigitte, fine et détaillée. Nous avons d'ailleurs débattu de
ce film avec Brigitte et Morgane après l'avoir vu ensemble. C'est la première
fois que je me rendais au cinéma pour voir le travail de Miyazaki et je
n'ai pas été déçu, sans pour autant acclamer l'ensemble comme un chef
d'œuvre. Le trait est sensible et les couleurs subtiles, mais l'expression
et les mouvements sont en effet parfois gauches. J'ai été frappé par l'extraordinaire
bestiaire du film, intrigué par l'obsession de l'appétit et de la nourriture
qui y figure - un trait commun à beaucoup de dessins animés japonais :
on y trouve toujours une scène où les personnages s'empiffrent -, apaisé
comme Laurent par la séquence du train traversant l'océan qui borde le
palais des bains de Yubaba. Cette séquence est toute de sérénité et de
paix, les personnages gardent un silence qui n'est troublé que par les
entrées et sorties des passagers fantômes, silence bienvenu après des
scènes de poursuite fatigantes au sein du palais. Le personnage du " sans-visage
" est assez fascinant, dans son attirance pour la pureté que représente
Chihiro, d'abord ombre furtive et silencieuse, puis se transformant brutalement
en un monstre à l'appétit sans fin - pour prendre chair, comme l'a analysé
Sophie D. (dont je comprends enfin le jeu de devinettes !). Une âme qui
erre et qui finit par trouver le repos auprès de la sœur de Yubaba, tour
à tour sorcière vengeresse et aimable vieille dame.
Brigitte vous espérez un débat contradictoire sur la musique de ce film
? Oui, j'ai dit que celle-ci n'était pas celle d'un supermarché. Oui,
comme vous j'ai fredonné toute la soirée l'entêtant air final. Mais, pour
le reste, je dois vous avouer fort piteusement, chère Brigitte, que je
l'ai complètement, radicalement, définitivement… oubliée ! C'est là un
signe sans doute de son caractère conventionnel… ou d'une mémoire auditive
défaillante de ma part. Quoi qu'il en soit, vous remportez ce round par
K.O. Mais, foi de S.C.R*, il y en aura d'autres !
Alexis G., Gaumont
mai 2002
* Certains sur ce site connaissent les initiales de ce sigle. Je m'excuse
de cette private joke auprès des autres.
4.
Je ne suis pas d'accord avec Alexis : il y a encore beaucoup de choses
à dire sur ce film tant la richesse des symboles et des interprétations
possibles est immense. Nous y sommes allés à trois et les discussions
à la sortie allaient bon train pendant deux bonnes heures... le temps
de digérer ce plateau copieux en couleurs, images, décors, personnages
et symboles. Deux semaines après l'avoir vu, de nombreux éléments me restent
en mémoire et en particulier le décor finement travaillé et dessiné.
Le palais construit
sur plusieurs étages, et le fonctionnement et le rôle de chacun des étages
sont oniriques et ont exalté mon imaginaire. Bien sûr, au-delà de cette
impression liminaire, c'est peut être la symbolique de notre être qui
est ainsi retranscrite (interprétation possible que j'ai pillée à Brigitte
en y annexant ma sauce) : tout en haut, Yababa qui gouverne et donne les
ordres à l'image de notre cerveau. Elle peut déplacer et transformer magiquement
les objets sans les toucher, comme notre cerveau gouverne nos gestes de
façon prodigieuse, nos actes et nos propos ! Puis dans les étages inférieurs,
les lieux recevant les clients. Les clients, c'est l'extérieur et l'énergie
du palais, sans les clients il n'y a pas de vie possible. Sans nourriture
et sans contact avec le monde extérieur, nous ne vivons pas : en brûlant
les victuailles que nous engloutissons et en rencontrant des Hommes, nous
créons notre propre énergie,. Plusieurs niveaux d'interprétation sont
possibles sur les scènes de Bains d'Aburaya : on peut y voir la fonction
d'assainissement nécessaire à tout être, comme on peut y voir une métaphore
de l'écologie… Est-ce un hasard cette opposition entre le lieu de vie
de la sorcière tout en haut du palais et celui du vieux sage tout en bas
? J'en doute fort. Une connaissance des mythes nippons me fait défaut
pour comprendre ces choix… mais cela me donne envie d'explorer cette culture.
Mon analyse est
très partielle, j'en conviens car il reste bien d'autres thèmes à explorer
:
- celui de l'apprenti sorcier
évoqué par Brigitte,
- celui du mélange mythe nippons/culture occidentale car cela ne doit
pas être présenté comme une critique mais comme le reflet d'une composante
fondamentale de la société japonaise ;
- celui des polarités (masculin/féminin, enfant/adulte, réalité/imaginaire,
bien/mal, mouvement par le biais des transformations de certains personnages/immobilité
d'autres personnages).
- Celui des tentations : cupidité, gourmandise, orgueil …
- Celui de la séquestration par Yubaba : du bébé, des parents, des humains.
- Celui de la taille et de la dimension des personnages : qui n'est pas
surpris par la tête de la sorcière, démesurée à côté du corps frêle de
Chihiro ou encore par la taille du bébé ? D'après Brigitte, la taille
elle-même de Chihiro évolue pendant le film : inférieure à celle de Haku
au début elle semble être supérieure à la fin. Et sans compter les thèmes
déjà abordés par les internautes de ce site…
Morgane LD vu à Gaumont,
mai 2002.
5.
La musique du film de Miyazaki est signée Joe Hisaichi,
un musicien dont on peut entendre les mélodies dans
la plupart des films de Takeshi Kitano, et dans les précédents
longs-métrages de Miyazaki. Je ne suis pas un inconditionnel de
ce musicien dont les musiques me semblent inégales (il s'agit ici
d'un jugement totalement subjectif). J'ai en mémoire des mélodies
simples et "efficaces" avec une orchestration limitée,
des airs qui trottent longtemps dans la tête (Hana Bi, l'été
de Kikujiro...), parfois réussis, parfois un peu faciles et
répétitifs, mais aussi des morceaux symphoniques plus ambitieux
et un peu plus ennuyeux (Princesse Mononoke). J'adore en revanche
les thèmes musicaux de Mon
voisin Totoro (que j'avais intégrés à mon message
de répondeur il y a quelque temps).
Je ne suis pas assez musicien pour juger vraiment de la qualité
des oeuvres de ce compositeur. Son omniprésence dans les films
de ces deux réalisateurs importants peut agacer (vive la diversité
!), en revanche, je ne comprends pas la critique de Brigitte disant qu'il
s'agit d'une musique "occidentale". D'abord qu'est-ce qu'une
musique "occidentale" ou "orientale"" ? Et puis
Je ne vois pas pourquoi il faudrait nécessairement une musique
traditionnelle japonaise pour accompagner un film dont les thèmes
m'apparaissent aussi universels. Je ne demande pas aux films français
d'utiliser obligatoirement une musique française ! En revanche
se pose la question du rôle de la musique au coeur du film. Remplit-elle
son rôle ? Il me semble que oui. Il me semble que le piano du début
(quand Chihiro et ses parents entrent dans le "parc d'attractions"
souligne discrètement l'étrangeté et le mystère
du lieu. La marche des esprits est aussi parfaitement accompagnée
par les les flonflons inquiétant d'une parade à la fois
drôlatique et terrifiante (pour Chihiro c'est un vrai cauchemar
!). En revanche, j'ai aussi oublié le thème final. Mais
cela ne veut pas dire, n'est-ce pas Alexis, qu'il est conventionnel. Une
musique n'est pas forcément bonne parce qu'elle vous trotte dans
la tête (où alors Britney Spears est une diva !)
Pour ce qui est de mon enthousiasme pour l'oeuvre de Miyazaki, je sais
que je m'enflamme vite, mais pour qui aime le dessin animé, les
contes, l'univers de l'enfance, ses films sont totalement irrésistibles,
même si je concède, çà et là, quelques
aspects un peu faciles (entre autres, les grimaces assez laides de certains
personnages rappellent que Miyazaki a fait ses armes dans la série
animée télévisée. D'ailleurs, je me demande
si toutes ces mimiques ne sont pas directement héritées
du théâtre kabuki ? - à vérifier bien sûr)
Mais cette critique est vraiment secondaire. Pour ce qui est du manichéisme
du film, il me faut préciser mon opinion. J'admets volontiers qu'il
existe une polarisation très nette entre entre le Bien et le Mal
dans le film.
Néanmoins, premier point, on retrouve cela dans tous les contes.
Deuxième point, ce n'est pas le plus important. Ce qui intéresse
le réalisateur, ce sont les interactions entre les personnages,
et la façon dont ils tentent de résoudre leurs problèmes
et leurs antagonismes.
Ce qui sépare Chihiro des films d'animation hérités
de Disney, c'est la subtilité et l'absence de morale assénée.
Dans une version hollywoodienne imaginaire de Chihiro, le film se serait
probablement terminé sur les leçons qu'aurait tirées
la petite fille capricieuse pour sa vie réelle. On aurait eu droit
à trois ou quatre morceaux chantés mièvres, et tous
les aspects oniriques auraient été expliqués. Le
cinéma américain d'animation actuel, malgré des qualités
indéniables et quelques réussites (Pixar), souffre encore
d'un formatage scénaristique trop lourd, de morales à trois
sous, et de préoccupations commerciales trop évidentes.
Miyazaki, quitte à avoir une réputation de tyran, est l'auteur
absolu de son film. Tout est fait artisanalement, sauf quelques plans
numériques ; il contrôle tout et exécute les trois
quarts des dessins du films (ce qui est un tour de force). Même
si les films des studios Ghibli bénéficient d'une extraordinaire
popularité au Japon (qui semble bien s'exporter), on ne peut pas
lui reprocher de brosser le public dans le sens du poil. Il impose un
univers au spectateur dans lequel ce dernier plonge avec des yeux émerveillés.
Pour ce qui est du fond, je renvoie aux interprétations fort intéressantes
de Morgane, Brigitte Alexis et Sophie.
Laurent Goualle
(2)
6.
Réponses à Laurent et Alexis, s'agit-t-il d'un contre débat ? je crois
qu'il s'agit plutôt d'échanges positifs : allez voir ce film et, comme
Morgane, vous direz : il y a encore beaucoup à dire.
Je suis ravie d'avoir
déclenché des débats au sujet de ce film. C'est ainsi que je conçois l'interactivité
du site. Je remercie Alexis et Laurent de participer à cette manière de
voir les choses.
La deuxième intervention de Laurent (LG2) est riche à plusieurs titres
:
Je n'ai aucune référence
pour ce qui concerne le travail musical de Hisaishi Laurent fait part
de ses connaissances en la matière et c'est à lire.
Je me contenterai donc de répondre au sujet de la musique de " Chihiro
"
Je me suis révoltée parce que je m'attendais à être plongée dans un univers
totalement étranger à ma propre culture sous tous les plans, y compris,
bien sûr, celui de la musique. Je m' étais fourvoyée en la matière à cause
de critiques éditées dans des revues flamboyantes qui qualifient le film
de fleuron de la culture traditionnelle japonaise. (cf mon " coup de gueule
" dans le site sur les avis des revues de cinéma , je ne me suis pas calmée,
bien au contraire.)
Laurent a raison lorsqu'il dit qu'un film français ne nécessite pas une
musique traditionnelle française (il n'y en a d'ailleurs pas, il y a certes
des musiques traditionnelles encore bien vivantes, heureusement,
mais elles sont régionales).
Il a raison également lorsqu'il parle de la dimension universelle du conte,
ce qui suppose qu'on ne se restreint pas à un style musical prédéterminé.
Encore raison quand il s'exprime au sujet de la partie pianistique du
début de film (c'est à elle que je pense lorsque je lui trouve des connivences
avec E. Satie… opinion très personnelle d'ailleurs et facilement critiquable
mais j' assume)
Petite remarque : tout
le monde a des oreilles, en matière de musique de cinéma, je l'ai précisé
dans " l'introduction du monde sonore au cinéma ". Un fait réel : le subjectif
est d'importance, c'est d'ailleurs le domaine privilégié de la musique
de cinéma : elle nous taraude essentiellement dans l'inconscient. Quoi
de plus subjectif, de moins rationnel?
La musique n'est
pas au cœur du débat cinématographique, elle en est l'une des voies d'accès
mais, comme l'a souligné J.Douchet à Annecy en mars 2002 : " une bonne
critique de film suppose que de nombreux éléments soient pris en compte
: le choix des couleurs qui ont une importance symbolique, le choix de
la musique… " il répondait à la question " qu'est ce qu'une bonne critique
de film ". Il présidait alors le jury de la meilleure critique du " Pirate
" de Minelli , pour les collégiens et lycéens qui participaient à cette
opération.
L'oubli du thème
final est une constante, qu' Alexis, Laurent se rassurent, j'en suis au
même point. Je n'ai pas dit qu'une musique est bonne parce qu'elle trotte
dans la tête, je me suis sans doute mal exprimée , je dis que cette musique
trotte dans la tête parce qu'elle est construite sur un schéma bien rodé
et celui ci est fondé sur des stéréotypes, ceux ci fonctionnent à merveille
parce qu'on nous les bassine sans cesse (radio, séries TV, pub..) Je parle
de la structure mélodique qui est simpliste et de la structure harmonique
qui l'est tout autant.
Je suis un peu vache car c'est la seule musique du film que je qualifie
de musique de " super marché ". Et j'en profite pour redire à Alexis que
son intervention m'a semblé judicieuse. Il a modéré ma rancœur à la sortie
de la projection. Hélas, on reste souvent sur la dernière impression,
c'est une des raisons pour lesquelles le dernier mouvement d'un concerto
est en général plus vif que les autres.
Pour Laurent, qui
pose la question fondamentale de la différence entre musique occidentale
et celle que je qualifie globalement de musique asiatique : il y aurait
de quoi écrire un bouquin , le site n'est pas un lieu pour cela et je
me sens bien incapable de le faire, je le reconnais aisément (c'est la
raison pour laquelle j'ai donné des références à lire et à entendre qui
sont de bonne qualité : chacun peut ainsi se documenter.)
Je peux cependant
dire rapidement qu'il y a, dans la musique japonaise traditionnelle, des
intervalles entre les sons qui n'existent pas dans la musique occidentale
( je ne parle pas de la musique contemporaine qui prend ces nouveaux paramètres
en compte) nos instruments sont incapables de les reproduire, à commencer
par le piano (largement utilisé dans le film) qui est un instrument qu'on
appelle " tempéré" , les timbres (des voix et des instruments traditionnels
japonais) sont également d'une infinie complexité et ils sont aux antipodes
de ce que nous avons l'habitude d'entendre, ils sont très particuliers,
la gestion de la pulsation et l'imprégnation rythmique qui en découle,
l'accompagnement harmonique(qui concerne les accords que nous entendons)
l'écriture horizontale( utilisation de doubles voix, inhabituelles à nos
oreilles occidentales) la structure même des œuvres nous déroutent totalement
: notre confort auditif est perturbé, notre rationalité (tant européenne
qu'américaine… qui est la même) notre logique d'écoute, préformée par
nos habitudes ancestrales (qu'on peut appeler culture commune à un peuple
, au sens large du terme) ont de la difficulté à s'y retrouver : il nous
faut faire de réels efforts et accepter d'écouter mille et une fois la
même oeuvre.
Rien ne remplacera l'audition personnelle ( chacun a de bonnes oreilles,
il faut se mettre ceci dans la tête une fois pour toutes) avec ouverture
à autre chose, à quelque chose qui dérange. Chacun a la possibilité d'en
faire l'expérience. Pour moi, la "mondialisation" n'est positive que si
elle s'occupe de cette richesse dans la différence.
A cette question
de Laurent "qu'est ce que la musique occidentale ou orientale" je réponds
simplement : écoute de la musique japonaise, prends du temps, arme toi
de patience, écoute ce qui, à première audition, te hérissera peut-être
et la question aura trouvé réponse auditive.
La musique remplit-
elle son rôle dans le film ? je le pense autant que Laurent : elle a le
mérite d'être discrète, de bonne qualité, je l'ai déjà souligné, il n'empêche
qu'on peut regretter certains aspects conventionnels (que j'ai notés)
dans sa composition, dans le choix de ses apparitions, une bonne référence
: les musiques de Hermann chez Hitchcock (voir mes notes dans la rubrique
monde sonore au cinéma)
OK avec Laurent
pour son argumentation concernant le manichéisme du film. Il nous donne
une explication fine : le film est intrinsèquement lié à la structure
du conte, (il y n'y a donc pas absence de manichéisme) je préfère cette
vision des choses.
L'interaction des personnages est un point intéressant qui méritait d'être
soulevé et il y a richesse en la matière, je n'y avais pas prêté suffisamment
d'attention.
Je retiens l'argumentation concernant la comparaison avec Disney, il est
vrai que la fin du film nous laisse toute liberté et multiplicité dans
nos choix d'interprétations : la " morale " , s'il y en a une, émanant
du périple de Chihiro, n'est pas assénée mais suggérée, elle a déjà donné
lieu à de nombreuses pistes et discussions (cf Alexis et sa lecture de
Sophie D).
Je reste quand même un peu triste sur ce choix de musique : nous avons
besoin de nous enrichir au contact des musiques " extra occidentales "
les médias ne nous aident pas en ce domaine et le film n'aurait sans doute
pas perdu de son intérêt si, en supplément, nous avions eu la possibilité
de la fréquenter. Je repense à ce qu'a écrit Morgane, qui est en lien
avec le Japon contemporain. Je regrette que les minorités culturelles
se fassent définitivement avoir par les nécessités du marché et, comme
le dit Laurent, qu'il soit obligatoire de caresser " dans le sens du poil
" pour survivre.
Qu'Alexis se rassure
(ou bien devrais-je m'inquiéter aussi pour ma propre mémoire ?) j'ai complètement
oublié ce thème qui nous a tant fait rire par sa niaiserie. Je vais m'en
sortir par une pirouette : il était trop nul pour qu'on le garde en mémoire
!! Tu ne sors pas KO de ma joute contre le SCR* *(je réitère la "private
joke")
Pour terminer, je
découvre avec intérêt ce que Laurent explique sur l'aspect artisanal du
travail de Miyasaki, qui n'est pas pour me déplaire, bien au contraire.
Eh bien voici un
film d'animation qui a suscité bien des débats : preuve de l'intérêt polymorphe
qu'il a su produire.
B.B 2
7.
J'aimerais vous parler d'un film magnifique ou plutot d'un dessin animé
: Le voyage de Chihiro. Ca vous dit quelque chose ?!
Bref ce film vous change des habituels Disney à l'eau de rose avec leur
morale à 2 balles, leurs éternels animaux super intelligents, les
meufs toujours super bien gaulées qui se tapent toujours le beau mec etc...
C'EST FINI grâce au sauveur de l'animation HAYAO MIYAZAKI !! Souvenez
vous de Princesse Mononoke, de Mon voisin Totoro(c'est les
seuls que j'ai vus faut dire que y en a pas beaucoup). Ce que j'adore
dans ses animations c'est l'onirisme qui s'en dégage, quand on sort de
la salle de cinéma on est encore dans le film. Moi à chaque fois que je
vais voir un Miyazaki j'me remets toujours en question, pendant 2 jours
je comate (c'est pour cette raison que je vais au cinéma le week-end).
Bref c'est génial!! Je recommande Princesse Mononoke pour les amoureux
des animaux et de la nature...
Sinon ne manquez pas ma prochaine critique sur le dernier Woody Allen.
Nils (alias Madalen
P.)
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